L’odeur accroche les narines. Le chanvre se rappelle à son nom scientifique, le « cannabis sativa L ». Xavier Pillet détaille, devant un parterre de professionnels d’organismes et de collectivités divers, la technique de culture, au bord de l’une de ses parcelles, coincée entre trois routes, à l’entrée même de Saint-Georges-de-Didonne. Quelques minutes plus tôt, dans un champ du côté de Boubes, toujours dans la commune, Xavier PIllet a fait la démonstration à son auditoire de la dimension aléatoire de la culture de cette plante ancienne, que le Pays royannais redécouvre. Là, le chanvre ne s’est pas dressé vers le ciel comme attendu. « Le rendement de la production de graines peut aller de 300 à 800 kilos par hectare. Sur des sols plus rentables, il peut attendre, 1,5 tonne ! »
Sur ce même hectare, l’agriculteur, qui cultive des terres pour son compte, mais aussi en association avec Monique et Pierre Rolland, peut tirer de 3 à 4 tonnes de paille, « mais actuellement, on est plutôt sur une tonne par hectare… » Le chanvre peut être capricieux. Pourtant, pas plus que les neuf autres agriculteurs adhérant, comme lui, aux Chanvriers des Estuaires ne se plaignent de ce choix de réveiller la culture du chanvre. « Le chanvre, déjà, n’a pas besoin d’eau, ni de traitement chimique. C’est une plante très rustique ! »

R. C.
Diversification
« Facile » à cultiver, le chanvre a (re)trouvé des adeptes, partout dans le département. Constitués en collectif depuis 2023, les Chanvriers des Estuaires, eux, sont implantés en Pays royannais, au nord de la Haute Saintonge et à Gémozac. « Ce collectif s’est constitué non pas sous l’impulsion des politiques, mais de notre propre initiative, par curiosité et intérêt agricole, explique le président de l’association, Ludovic Benassy. Personnellement, je me suis lancé dans la culture du chanvre parce que j’ai senti que ça faisait partie de ces solutions de diversification que nous, agriculteurs, devons absolument trouver aujourd’hui si nous voulons survivre. »
« Ce collectif s’est constitué de notre propre initiative, par curiosité et intérêt agricole »
Rustique, le chanvre est aussi riche de débouchés. Des graines, Monique Rolland tire une huile d’assaisonnement qui enrichit son offre sur les marchés, au milieu de ses huiles de tournesol, de colza, de cameline et de lin. « Arrivée au début de la saison estivale, je suis pratiquement en rupture de sol. » La paille, elle, subit une double transformation. Passée dans une défibreuse, elle offre aux chanvriers deux produits : la chènevotte, des copeaux d’écorce de la tige, et la fibre, extraite de l’intérieur de la tige. Cette fibre, les Chanvriers des Estuaires la destine au même emploi que la chènevotte : le secteur de la construction.
Un parfait isolant
Additionnée à de l’eau et à de la chaux, la chènevotte entre dans la composition d’un véritable « béton de chanvre », aussi solide qu’un béton classique, mais aux vertus isolantes incomparables. L’isolation, une vocation possible pour la fibre, transformée en laine dispersée dans les combles. D’une nature bricoleuse, Ludovic Benassy a fabriqué lui-même la machine à disperser cette laine de chanvre. « On la prête, en même temps qu’on livre le produit sur le chantier. »

R. C.
Les Chanvriers des Estuaires rodent leur discours commercial, décidés à passer à la vitesse supérieure. À l’heure actuelle, les dix membres du groupement cultivent 46 hectares de chanvre. S’ils veulent structurer la transformation de la plante au plus près de leurs parcelles – ils ont recours, pour l’instant, à une coopérative des Deux-Sèvres, équipée de longue date –, les cultivateurs de chanvre de la moitié sud du département vont devoir investir.
L’heure d’investir
Ludovic Benassy est partisan de la création d’une unité de transformation par les Chanvriers des Estuaires eux-mêmes. « Il nous a été proposé de nous associer au groupe de producteurs du nord du département, mais nous aurions consacré de l’argent à faire transporter notre production. Entre le bâtiment, le matériel nécessaire, il faut tabler sur un investissement d’un million d’euros, mais pouvoir défibrer en local, disposer de l’outil à 20 / 25 kilomètres de nos champs, c’est la solution pour que la culture du chanvre soit rentable. »
Les Chanvriers des Estuaires commencent à sensibiliser les décideurs locaux à leur projet. « À l’heure actuelle, nous en sommes au stade où nous devons encore nous faire connaître, continuer à travailler sur les débouchés », nuance prudemment Ludovic Benassy, conscient qu’il faut encore convaincre les acteurs locaux du bâtiment de proposer – aussi – le recours au béton et / ou à la laine de chanvre à leurs clients.