Art Basel, Buren, Pinault… Paris s’enflamme pour l’art contemporain

Oct 23, 2025 | Paris

« Y a d’la joie », comme le chante Trenet. Le monde planétaire de l’art contemporain atterrit à Paris : 206 galeries venues de 41 pays pour l’événement Art Basel Paris mettent en ébullition le Grand Palais. Ce dernier devient l’aéroport de l’art contemporain aux multiples pistes de décollage : pistes pour satisfaire les pupilles gourmandes d’artcontemporainophages de plus en plus nombreux, pistes conduisant à d’autres foires (AKAA, Menart Fair, Moderne Art Fair, Asia Now, MIRA Art Fair, Detroit Salon), pistes vers les musées qui se parent d’œuvres contemporaines, pistes vers des fondations incontournables et pistes d’investissements.

Les foires sont des cavernes d’Ali Baba et des marchés qui sentent bon l’emplette. Cette semaine, c’est plaisir des yeux et allègement du porte-monnaie garantis. Tout homme ou femme d’affaires aguerri diversifie ses placements. L’acheteur-collectionneur fait de même, dégainant ses euros auprès d’artistes différents. Certains décolleront, d’autres crasheront. Cette semaine, Paris permet au bal des rapaces érudits, aux opportunistes bling-bling, aux collectionneurs en short 100 % coton bio, aux arts-moureux désargentés de faire leurs achats ou de se préparer pour le jour où ils pourront en faire. On dit le secteur fragile. Les bulles du champagne qui va couler en comportent une nettement moins enivrante : la bulle spéculative.

Un grand pschitt est toujours possible tant le marché de l’art est lié à la géopolitique, aux modes, au moral des troupes, aux goûts du jour volatils. Pour ne pas être trop déplumés, les collectionneurs, avant d’acheter, ont intérêt à potasser leur histoire de l’art, le contexte, la vie et l’historique de la production des artistes convoités. Les galeries sont de bons aiguilleurs et rarement des attrape-perdreaux, ayant intérêt à bien conseiller les acheteurs alléchés. Elles jouissent d’une réputation qui peut s’envoler si vite.

Façade « burénisée »

Quelques super-acheteurs-collectionneurs-investisseurs se distinguent en partageant leur passion auprès du plus grand nombre tout en plaçant leur fortune astucieusement. L’implication dans l’art de Frédéric Jousset via sa fondation multibranche Art Explora, ses bourses, ses artistes en résidence et son beau bateau « musée » est claire. Je partage. J’agis. Je tisse des liens. Je-suis-dans-l’art-contemporain-donc-j’existe. L’homme fascine, questionne comme quiconque assoiffé de reconnaissance et désireux de pouvoir comme l’est Paul-Emmanuel Reiffers.

L’homme d’affaires est l’éditeur de la superbe revue Numéro, à la tête du groupe Mazarine (spécialisé dans le luxe, la mode, l’art, la culture). Reiffers sort les biscoteaux dans le peu feutré royaume de l’entre-soi. Y appartenir est la preuve d’un pouvoir financier, d’une réussite sociale, et une façon d’être, tant la vie de tout globe-trotteur de l’art contemporain est dense. Dans la galaxie Reiffers, on trouve un fonds de dotation consacré à la jeune création contemporaine et à la diversité culturelle, un prix annuel et l’immeuble de la rue des Acacias où défilèrent les plus grands photographes, racheté et réinventé par Reiffers.

La façade vient de se « buréniser » de bandes noires de 8,7 centimètres de large. Le plasticien Daniel Buren signe, à l’intérieur, une véranda multicolore très salle des fêtes élyséenne. Un goût pour le pouvoir, Reiffers ? À l’intérieur, Buren est mis en confrontation complice avec Miles Greenberg, jeune performeur-sculpteur new-yorkais généreux très à la mode, accueilli dans le cadre d’un mentorat renouvelé chaque année. La notoriété de Buren, la branchitude de Greenberg, c’est prendre des risques sans en prendre vraiment. Exaltant pour le visiteur et bon pour qu’on en parle. Reiffers sait faire.

Le temple privé de l’art contemporain est la Bourse de commerce, « prêtée » par la Ville de Paris à François Pinault, dont l’œil est aussi aguerri que le sens des affaires. Saint François, à la fois dénicheur, investisseur et partageur des arts, est un gourmand perpétuel dont la Bourse de commerce est un grenier toujours bien rempli. Impossible de tourner en rond sous la rotonde. S’y rendre, c’est être certain d’être perturbé, de bousculer ses certitudes et d’élargir ses connaissances.

L'exposition "Minimal" à la Bourse de Commerce.
L’exposition « Minimal » à la Bourse de Commerce. (Crédits : LTD/FLORENT MICHEL/11H45)

Dans le cadre de l’exposition « Minimal », ce qui est exposé mérite un effort, un dépassement de soi. Nombre d’œuvres existent autant par ce qui les explique que par ce qu’elles sont. Les formes, les matières choisies (François Morellet, Lee Ufan, Niele Toroni) ne s’encombrent pas de chichis, leur ascétisme propose aux visiteurs une élévation de l’âme, mais il y a un hic.

Vieille carcasse

S’évader nécessite du silence. Le succès de l’expo fait du bruit. Le cœur de la Bourse, du réacteur pinaultien, est composé de cinq combustibles, cinq formes pures (cône blanc immaculé en sel, arrondi étalé sur le sol, hémisphère fissuré couleur ocre intense, rectangle végétal, paroi jaune or incurvée en cire). Les œuvres sont posées là afin de faire décoller la pensée. Croisant leur créatrice légendaire, la discrète Américaine octogénaire Meg Webster, celle-ci est simple : « Faites ce que vous voulez de ce que vous voyez. »

Ses formes sont aussi fascinantes et mystérieuses que l’hypnotique, sombre monolithe rectangulaire du film 2001 : l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (1968). Son monolithe s’impose, obsède, interroge comme les formes de Meg Webster.

Pas impensable de voir un jour à Bourse de commerce le ou la lauréate du réputé prix Marcel-Duchamp. Les quatre finalistes sont exposés au musée d’Art moderne de Paris. Le prix est une rampe de lancement pour qui sait la lustrer. Les quatre ultimes nommés sont Bianca Bondi, Lionel Sabatté, Eva Nielsen et Xie Lei. En attendant, le grand-prix-qui-n’existe-pas de La Tribune Dimanche est attribué à… Lionel Sabatté ! L’artiste ramasse, amasse ongles, peaux mortes, poussières avec cheveux récoltés au musée où il est exposé.

Vue d'exposition Prix Marcel-Duchamp.
Vue d’exposition Prix Marcel-Duchamp. (Crédits : LTD/Grégory Copitet/Courtesy Gallery Ceysson & Bénétière)

Une matière repoussante, dérangeante, mais l’esthétisme des œuvres, ce qu’elles représentent, formes géométriques savantes ou délicats portraits, emballent le visiteur, surpris puis conquis. Pendant cette folle semaine, le Centre Pompidou fait une pirouette et puis s’en va avant la fermeture de sa vieille carcasse pour rafistolage existentiel pendant cinq ans. Larmes à verser dans un bocal (une œuvre en devenir ?), yeux écarquillés et bourses déliées, tel est le programme de cette folle semaine. 

Les expos à aller voir absolument
⭐Art Basel Paris. Du 24 au 26 octobre au Grand Palais
⭐Bourse de commerce. « Minimal », jusqu’au 19 janvier 2026.
⭐Reiffers Art initiatives. 30, rue des Acacias (Paris 17e). Du 24 octobre au 13 décembre
⭐Prix Marcel Duchamp. Jusqu’au 22 février 2026 au musée d’Art moderne de Paris
⭐Centre Pompidou. Les 24 et 25 octobre au plateau Beaubourg.

Le Art Basel Paris a investi le Grand Palais et des bandes noires, façon Daniel Buren, recouvrent la façade de Reiffers-Initiatives, à Paris.  L’exposition « Minimal » à la Bourse de Commerce.