Inaccessible pendant 15 ans, c’est un lieu hors du commun de 40 000 m2, un sanctuaire du graffiti qui accueille pour la première fois et légalement des visiteurs cet automne 2025, avec le feu vert du propriétaire, la ville de Paris.
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L’ancien supermarché de la porte de la Villette, sous le périphérique tout près d’Aubervilliers, est d’abord devenu un refuge pour des sans-abris avant leur évacuation, en 2010. C’est à ce moment-là que les street artistes, Lek & Sowat, trouvent une brèche pour investir clandestinement les immenses espaces sur quatre niveaux et entamer en toute discrétion leur projet expérimental baptisé Mausolée, avec la participation d’une vingtaine d’autres graffeurs.
Dans le fracas du trafic, l’immense bâtiment aux allures de bunker est loin d’être accueillant. C’est un lieu mystérieux, à la fois inquiétant et fascinant, sans électricité, que l’on découvre dans la pénombre à la lampe torche, à la lampe frontale ou grâce à la lumière d’un smartphone.

« Le projet, nous l’avons fait dans cette ambiance. C’était aussi sombre que ça à l’époque. Nous pensons qu’il y a quelque chose de l’ordre de Lascaux, de découvrir de l’art à l’aide de lampe torche, comme on le faisait il y a 37 mille ans dans les grottes« , affirme Sowat, alias Mathieu Kendrick.
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Le plasticien et street artiste passionné d’urbex, d’exploration urbaine raconte comment son complice Lek, alias Frédéric Malek a senti les potentialités de création sur place :
« L’anecdote sur l’histoire de ce Mausolée, c’est que Fred, il est client de ce supermarché quand il est enfant. En fait, il vient avec sa maman le week-end faire les courses. Il a donc connu cet endroit du temps de son activité. Ensuite, il a bien vu que le lieu était abandonné. Il y avait une sorte de va-et-vient permanent. Cela a été squatté pendant longtemps. A l’époque, en 2010, le gouvernement Sarkozy avait passé l’été à communiquer sur le démantèlement des camps et le fait de vider des squats. Et nous pensions que c’était un endroit comme ça. Lorsque nous arrivons, c’est une capsule temporelle. Vous verrez dans les étages pleins d’affaires personnelles, des lits, des matelas… à l’époque, il y avait des jeux d’enfants. Beaucoup de gens ont habité ici.«

« C’est un charbon qu’on va transformer en diamant ! »
Lek se souvient avec émotion de leurs premiers pas dans l’édifice : « Là, on rentre et on se dit, mais c’est merveilleux quoi ! C’est un charbon qu’on va transformer en diamant ! » 40 000 m2, c’est comme si tu avais un grand atelier à toi tout seul en plein cœur de Paris.«

Et au premier étage, Sowat décrit dans quelles conditions ils ont réalisé leur première œuvre :
« Cet espace hallucinant, ce plafond couvert de suie qui tout de suite donne une ambiance apocalyptique. Et ce lieu abandonné, il nous transforme. La première chose qu’on peint dans ce bâtiment avec Lek, c’est ça. À l’époque, on l’appelait ‘L’arbre’. Là, vous voyez, on peint le plafond et on peint un pilier. C’est à 360° et l’idée, c’est vraiment de faire une peinture architecturale. C’est de faire une peinture qui épouse les perspectives.«

« Ce motif de métro, c’est un des archétypes visuels du graffiti mondial »
Cela en peignant sur place les nombreuses carcasses de voitures désossées ou brûlées, en conservant aussi les détritus et multiples objets abandonnés, qui participent à la scénographie.

Le duo de graffeur a rapidement convié 23 autres artistes à apporter leur pierre à l’édifice et notamment, souligne Sowat, un des pionniers du graffiti français :
« Voici une œuvre de Jayone. Il nous a fait l’immense plaisir de venir en 2010 travailler un après-midi ici sur ce mur, avec de l’orange et du bleu. Quand tu connais son style, c’est comme s’il avait mis ses épices favorites. Toute l’esthétique que nous voyons là, c’est quasiment du tracé direct, c’est-à-dire qu’il peint sans repentir. Il y a ce qui pourrait être des « fire escapes » sur le côté. C’est l’architecture new-yorkaise. Et ensuite, il y a un métro sur un pont. Ce motif de métro, c’est un des archétypes visuels du graffiti mondial« .

« C’est le Paris un peu caché, le Paris un peu underground qu’on va retrouver ici »
Les visites du Mausolée se font à la lampe torche ou à la lampe frontale, par groupe de 19 personnes et en compagnie entre autres de la guide conférencière Thomasine Zoler :
« Chaque visiteur aura à disposition une lampe pour pouvoir observer les œuvres en contexte, dans son jus, dans les mêmes conditions qu’avaient les artistes quand ils ont peint à l’époque. C’est donc une visite où on va vraiment revenir sur l’histoire de cette résidence, la manière dont les artistes se sont introduits dans le bâtiment, comment ils ont réfléchi l’espace, l’esthétique qu’ils ont voulu mettre en avant et la spécificité vraiment de ce lieu par rapport à d’autres bâtiments ou d’autres projets d’art urbain qu’on peut voir actuellement à Paris. C’est le Paris insolite, c’est le Paris un peu caché, le Paris un peu underground qu’on va retrouver ici.«

Le propriétaire du bâtiment désaffecté, la ville de Paris, l’ouvre au public pour des visites coordonnées par le collectif RStyle, du mercredi au dimanche de 10h à 17h. Ces visites gratuites d’une heure, à réserver obligatoirement sur le site exploreparis.com, doivent s’achever le 7 novembre 2025. Il pourrait y avoir des prolongations. Mais la pérennité du Mausolée n’est pas garantie dans le prochain vaste projet de rénovation urbaine dans le quartier.
