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Manon de Sortiraparis · Photos par
Cécile de Sortiraparis · Publié le 4 septembre 2025 à 12h44
Au 19e siècle, la morgue du quai de l’Archevêché devient une vitrine morbide et populaire, où cadavres anonymes en quête d’identité attirent des milliers de curieux derrière une vitre. Un lieu aussi étonnant qu’inquiétant, où quand la mort faisait vitrine sur l’Île de la Cité à Paris.
Imaginez un lieu où la mort se pavanait en vitrine, exposée aux yeux de tous au cœur de Paris… Telle était, au 19e siècle, la morgue du quai de l’Archevêché.
Cette ancienne morgue municipale, installée sur la pointe de l’Ile de la Cité afin d’aider à l’identification des corps anonymes, était en effet publique et est rapidement devenue une véritable attraction touristique pour les Parisiens.
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Origines et emplacement
À l’origine, les cadavres anonymes étaient exposés dès 1804 dans les prisons du Châtelet, avant d’être déplacés quai du Marché‑Neuf afin de faciliter leur identification.
En 1864 (ou 1868 selon les sources), le baron Haussmann fit construire un édifice aux allures de petit temple grec sur la pointe Est de l’île de la Cité, à l’emplacement de l’actuel square de l’Île‑de‑France : la fameuse morgue du quai de l’Archevêché.
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Architecture et fonctionnement
Le bâtiment comprenait un corps central et deux ailes : l’une dédiée au bureau du greffier et l’autre réservée aux autopsies, à la toilette des corps, aux cabinets des magistrats et à l’amphithéâtre.
Au centre, la salle d’exposition exhibait les corps sur des tables inclinées — souvent en marbre noir — visibles à travers une large vitrage, parfois rafraîchis par un filet d’eau ou par un système de réfrigération, selon l’époque. Les visiteurs pouvaient alors dévisager les cadavres – qui étaient exposés en moyenne durant trois jours – et examiner les vêtements du défunt, suspendus à ses côtés, dans l’espoir d’en reconnaître certains.
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Curiosité publique et folie macabre
Au 19e siècle et début du 20e siècle, la morgue du quai de l’Archevêché devint rapidement l’un des lieux les plus populaires de Paris et l’une des sorties les plus prisées. Chaque jour, jusqu’à 40 000 curieux de toutes classes sociales – ouvriers, bourgeois, voyageurs – venaient observer ce spectacle morbide.
Certains corps, comme celui d’une fillette découverte rue du Vert‑Bois en août 1886, attiraient d’énormes foules, au point que la police devait réguler l’accès. Émile Zola lui-même s’en inspira dans Thérèse Raquin, évoquant cette “représentation de la mort” accessible à tous, où le public applaudissait ou sifflait comme dans un théâtre.
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Débat moral et fin de l’attraction
Mais vers la fin du 19ᵉ siècle, cette pratique suscita des critiques dans l’opinion publique et dans la presse pour son immoralité, la vulgarité de cette mise en scène théâtrale de la mort et ses effets sur la sensibilité publique. Une telle pratique s’opposant, en effet, au respect des défunts et aux rites funéraires. D’autant que les identifications n’étaient pas si nombreuses (seulement moins de 20% de reconnaissances) !
Le préfet Louis Lépine interdit donc, par décret, l’entrée au public en mars 1907, invoquant un « hygiénisme moral » et arguant qu’une telle exposition des corps relevait surtout de la « curiosité » morbide. A compter de cette époque, seules les personnes munies d’une autorisation spéciale peuvent alors entrer dans la morgue du quai de l’Archevêché.
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Disparition et succession
Finalement, la morgue en 1923 fut remplacée par l’Institut médico‑légal de Paris, situé quai de la Rapée dans le 12ᵉ arrondissement, et un square fut aménagé à son ancien emplacement — aujourd’hui le square de l’Île‑de‑France, bordé par le Mémorial des martyrs de la déportation.
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