Des centaines de pharaons qui se sont succédé sur le trône de l’Égypte durant trois millénaires, Cléopâtre VII est la dernière, la plus connue et l’une des très rares femmes à tenir ce rôle. Née en 69 avant J.-C., issue de la famille des Ptolémées – une dynastie de rois grecs contrôlant le pays depuis trois siècles – elle régna jusqu’en 30 avant notre ère.
Au premier étage de l’Institut du monde arabe, à Paris, l’exposition présente d’abord ce monde antique oriental, désormais bouleversé par les appétits de Rome qui a fait de l’Égypte une simple province, grenier à blé d’une République en train de muer en empire.
Cléopâtre, dernière pharaonne d’Égypte face à l’emprise de Rome
Cléopâtre cherche à s’émanciper de cette tutelle et ses liaisons, d’abord avec Jules César (100 -44 avant J.-C.), puis, après son assassinat, avec Marc Antoine (83-30 avant J.-C.), témoignent d’une volonté politique affirmée, sans qu’on puisse pour autant tout saisir de sa pensée. Car les témoignages de son règne sont pour la plupart indirects : à part quelques profils sur des monnaies, nous ne disposons d’aucun portrait assuré.
On sait qu’elle a fait élever des temples où elle est représentée sous les traits d’une Isis pharaonique. Pourtant, un seul papyrus – présenté dans le parcours – porte probablement quelques mots de sa main avec sa signature. «N’est-ce pas extraordinaire, que la vie de la femme sans doute la plus célèbre depuis l’Antiquité soit aussi peu documentée scientifiquement ?» s’interroge d’emblée Claude Mollard, commissaire général dans le catalogue d’une exposition qui met en scène cette opposition entre la réalité difficile à saisir et le mythe omniprésent.
Dans cette première partie, donc, les pièces archéologiques présentent le contexte de son règne : la prospérité de l’Égypte sous les Ptoléméens et le développement prodigieux d’Alexandrie, la «ville-lumière» de l’époque, avec sa bibliothèque et son musée. Des reconstitutions virtuelles aident les visiteurs à se figurer l’importance de ce port méditerranéen où aussi, au IIIe siècle avant J.-C., la Bible avait été traduite en grec, au sein d’une puissante diaspora juive.
Mais dès que l’on monte à l’étage, nous attendent les sources romaines puis chrétiennes et arabes sur Cléopâtre. Intéressante initiative de «vérification des faits», car il est plutôt rare que des livres soient montrés, à l’appui des cartels. Le visiteur peut ainsi lire comment ce destin hors du commun a fasciné et nourri très vite des légendes contrastées.
Évidemment, les écrivains antiques – dans le sillage d’Octave (futur empereur Auguste) qui vainquit Marc-Antoine et Cléopâtre à la bataille d’Actium, entrainant leur suicide – décrivent la reine d’Égypte comme une séductrice folle, à la morale choquante. Cependant, des sources égyptiennes plus tardives, tant chrétiennes que musulmanes, chanteront les louanges d’une cheffe d’État protectrice, bâtisseuse et cultivée !
Une reine controversée : entre propagande romaine et héritage oriental
La suite du parcours se consacre dès lors aux différentes interprétations artistiques occidentales de ce personnage, puisque le mystère qui l’entoure permet de lui faire endosser tous les rôles : dans la peinture classique, elle est une nouvelle Eve tentatrice, tandis que les artistes romantiques insisteront sur son suicide, par morsure de serpent.
À toutes époques cependant, la fascination pour cette femme politique déborde d’érotisme : Cléopâtre ne peut qu’être une séductrice, et les peintres orientalistes la saisiront, au XIXe siècle, en odalisque lascive et décadente, symbole de ces pays d’Orient dont on admire la beauté mais dont on déplore la soi-disant passivité.
Cléopâtre, icône éternelle : de Sarah Bernhardt à Liz Taylor
Shakespeare le premier, suivi de beaucoup d’autres en font une héroïne de théâtre. Un magnifique portrait de style préraphaélite, montre Sarah Bernhardt, l’interprétant vers 1890. Tandis que des extraits de films avec aussi bien Liz Taylor que Monica Bellucci prouvent que le mythe ne faiblit pas au XXe siècle ! Bijoux, costumes et décors complètent la «cléomania» qui touche aussi à la publicité, à la télévision et à l’art contemporain.
L’exposition présente avec humour une collection de savons et autres produits ménagers utilisant la reine comme figure d’appel. À ce sujet, une création de l’artiste française Shourouk Rhaiem, «Cleopatra’s Kiosk», dans laquelle ces objets du quotidien sont recouverts de strass, amuse.
Toutes ces versions de Cléopâtre, au final, n’auront pas levé le voile sur l’antique reine d’Égypte, mais on aura appris beaucoup, de manière distrayante, sur la fortune inépuisable d’un personnage populaire, par le biais d’œuvres pouvant parler à toute la famille.

© Alice Sidoli / Institut du monde arabe
En savoir plus sur l’exposition
«Le mystère Cléopâtre»
Jusqu’au 11 janvier 2026
Rens.: 01.40.51.38.38