Esprit, es-tu toujours là ? Depuis plusieurs décennies, le fantôme du château du Douhet fait couler de l’encre, intrigue mais fait aussi beaucoup sourire. La légende qui entoure l’imposant château de ce petit village saintongeais, situé au nord de Saintes, nourrit les imaginaires depuis de nombreuses années.

Juillet 2025. Nous voilà décidés à aller voir de plus près. Quand on arrive au Douhet, on ne peut pas le rater. Construit au XVIIe siècle sur les fondations d’un précédent château fort, le vaste édifice en impose du haut de ses quatre cents ans. Tout comme son parc de 24 hectares, traversé par l’aqueduc romain.
La première trace certaine de ce lieu remonte à 1652, quand Renaud de Pons l’a fait bâtir sur les ruines de sa forteresse détruite par les flammes. La construction s’achève en 1678. Ensuite, cela deviendra la résidence d’été de l’évêque de Laage avant qu’il ne prenne la poudre d’escampette vers l’Espagne au moment de la Révolution française.
Mystérieuse chambre jaune
Au début du XIXe, Mathieu Faure (1761-1832), banquier, député et maire de Saintes, en fait l’acquisition. Puis, pendant près d’un siècle, le domaine est inhabité. Au mitan du XXe siècle, Jean-François Damilleville, son épouse et ses 13 enfants le rachètent. Cet as des as de la Grande Guerre y installe aussi son usine de bleus de travail. C’est à cette époque que le fantôme de la chambre jaune, clin d’œil à l’œuvre de Gaston Leroux, fait parler de lui.
Ils se réveillaient en sursaut au milieu de la nuit avec l’impression bizarre que quelqu’un s’asseyait sur leur poitrine
L’esprit malin se manifestait, paraît-il, le plus fréquemment en « oppressant » ses victimes. « Les personnes qui y dormaient, qu’elles soient membres de la famille ou invités, se réveillaient en sursaut au milieu de la nuit avec l’impression bizarre que quelqu’un s’asseyait sur leur poitrine », confiait Alain Damilleville, 79 ans, à « Sud Ouest » en 2011.
À la fin des années 1940, son père avait fait venir un prêtre pour exorciser les pièces du château. Depuis, il a été transformé en une trentaine d’appartements lors de la première décennie du XXIe siècle. La chambre jaune fait désormais partie de l’appartement 19, rez-de-chaussée, porte à gauche et elle a été repeinte.

Étienne Latry/SO
Maudit Albéric
Alain Damilleville avait confié une autre anecdote, tout aussi surprenante. « Le lendemain ou le surlendemain, il y a eu une forte tempête. Les volets du château claquaient et les fenêtres s’ouvraient violemment. On a demandé à notre personnel si la tempête n’avait pas fait de dégâts au village. Il nous avait répondu qu’il n’y avait eu aucune tempête… »
Qui peut donc être cet esprit ? Dans « Belles légendes de Saintonge » d’Henry Meriot (1936), on parle d’Albéric, cruel seigneur du Douhet. Cela se passe au XIIIe siècle, sous le règne de Saint-Louis, après une journée de battue dans les bois. Le cortège du comte, harassé et surexcité, n’a qu’une hâte : rire et festoyer. En traversant le village, les hommes croisent une juvénile beauté qu’ils conduisent au château pour mieux la violenter. Lors du rapt, une aïeule lève son bâton de pauvresse. Elle maudit Albéric, lui prédit la mort et dit que son âme en peine errera à jamais, prisonnière d’un corps de chouette ! Le lendemain, à l’aube, le comte est retrouvé inanimé parmi les reliefs de son dernier festin…

Étienne Latry/SO
Coup de fil déconcertant
Puis, il y a aussi ce coup de fil qui interroge, reçu par Alain Damilleville en 1998. Un Girondin, qui ne connaît pas le château, déclare avoir été interpellé par les esprits de deux nobles assassinés durant la Révolution. « Lors de sa venue au Douhet, il s’est dirigé directement vers la chambre jaune. Là, il m’a dit qu’ils avaient essayé de fuir en montant au premier par un escalier. » Mais de cette chambre, impossible. Sauf qu’une ancienne porte murée donnant sur un escalier a plus tard été découverte. Déconcertant.
Riëtha Kühle vit au château pour les besoins d’une biographie sur Judith de La Rochefoucauld. Quand on explique la raison de notre présence à la Sud-Africaine, cette dernière fulmine. « C’est un coup de pub de Damilleville, il n’y a jamais eu de fantôme ici », soutient-elle fermement.
Et à l’Aqueduc romain, le chaleureux bar-tabac du village, qu’en dit-on ? « Ça nous a occupés cette histoire. À la suite d’un reportage à la télé, on a eu beaucoup de monde qui nous posait des questions sur le fantôme, se rappelle Jean-Paul Roger, propriétaire du bar avec son épouse Micheline depuis 1992. À force, on en a eu marre. Une fois, une énième personne m’a demandé si j’avais vu le fantôme. Je lui ai répondu : vous avez de la chance, tous les soirs, il vient boire un coup à cette heure-là, il ne devrait pas tarder. »