À Saint-Pée-sur-Nivelle, le risque d’inondation fait partie de la vie intime de nombreux habitants et alimente une source intarissable de souvenirs et d’anecdotes, plus ou moins joyeux. Cette réalité menaçante – passée lors des plus hautes crues par des évacuations in extremis de commerces et maison situés à proximité du château, côté bourg, ou à Ibaron – se mesure tout particulièrement sur le plateau du quartier Urguri (en français « presqu’île »).
Un quartier, sur la route du Lac, où chaque maison ou presque porte sur sa façade la marque de la plus haute crue de l’histoire de la commune : celle du 25 août 1983. Des marques à la peinture ou au crayon qui permettent de se souvenir. Comme celles gravées ailleurs pour suivre la croissance d’un enfant..

V. D.

V. D.
« Chez moi, en 1983, c’est monté à 1,73 m. En 2007, ça s’était arrêté à 1,60 m et j’ai eu moins de dégâts parce que j’avais réussi à mieux fermer. En 1983, j’avais un poteau électrique qui était venu défoncer ma porte », témoigne le Senpertar, Claude Leconte. Le récit est partagé, album photos ouverts, depuis la terrasse de son voisin Jean-Louis Bessonart. « Moi je suis né au point le plus bas de la presqu’île », accueille-t-il, chaleureusement.
L’eau jusqu’au plancher
L’ancien pompier professionnel a fait construire sa maison juste à côté mais en ciblant un point surélevé, aligné sur les hauteurs des digues construites pour protéger les bassins de l’Inrae voisin. Il avait aussi veillé à prévoir un très large vide sanitaire. « J’ai 1,50 mètre sous la maison », sourit-il. L’aménagement a sans doute fait la différence lors de la crue ravageuse de 1983, un an seulement après la construction de la maison. « Je me souviens que ça avait emporté les pierres de la terrasse parce que je n’avais pas eu le temps de faire les joints. Mais l’eau s’était arrêtée là. On avait eu de la chance… »
La situation était beaucoup plus inquiétante du côté de la ferme familiale. Jean-Louis Bessonart était parti le matin même, direction Bordeaux, passé « tout juste » sur l’ancien unique pont qui reliait Urguri et le reste du monde. Sa mère était seule chez elle. « Une nièce l’avait appelée et elle lui avait dit que l’eau était à la première marche. La première marche, ça arrivait assez fréquemment, donc on ne s’est pas inquiétés. Mais en réalité, elle avait le téléphone à l’étage, et la première marche dont elle parlait c’était la dernière, la plus haute de l’escalier qui menait au premier étage. »

Archives personnelles Jean-Louis Bessonart
Claude Leconte dormait encore lorsque le lit de la Nivelle s’est invité dans sa maison. « La veille, j’avais un repas de famille chez moi. 26 personnes à table. On s’était couché à 1 heure du matin en laissant tout en plan. Et à 8 heures ou 9 heures, paf, la porte d’entrée a explosé. » Tout a été reculé ou surélevé au fur et à mesure que l’eau montait. En commençant par les voitures. « D’abord chez mon beau-frère, mais il y avait autant d’eau. Alors on est allé un peu plus haut, vers la colline, notre seule échappatoire dans ces cas-là… »
On s’était couché à 1 heure du matin en laissant tout en plan. Et à 8 heures ou 9 heures, paf, la porte d’entrée a explosé !
Veaux et cochons à l’étage

V. D.
Revenus au pas de course, tous se sont carapatés dans les étages. « Il y avait une vache avec son veau. On avait fait monter le veau à l’étage », se souvient Claude Lecomte. « Mon frère Jérôme m’avait aussi raconté qu’il y avait une truie qui était restée sur une branche d’un pommier », prolonge Jean-Louis Bessonart.
Le duo se souvient qu’un éleveur parti secourir un autre goret, à Cherchebruit, était lui resté bloqué dans un arbre durant plusieurs heures. Et qu’il avait fallu batailler pour faire sortir un troisième d’une chambre à coucher. « Ceux-là s’en étaient sortis mais il y avait eu beaucoup de vaches et de chevaux qui s’étaient noyés. Et puis, en 1983, il y avait eu des caravanes emportées, six morts au total », enchaîne-t-il avec plus de gravité.

Archives personnelles Claude Leconte

Archives personnelles Claude Leconte
La notion du risque est mieux appréhendée aujourd’hui. Et surtout, le grand barrage écrêteur de Lurberria, construit sous l’impulsion de l’ancienne maire Christine Bessonart, belle-sœur de Jean-Louis, a changé la donne. Claude Leconte, qui conserve sur un mur de sa maison l’article publié par « Sud Ouest » lors de l’inondation de 1983, a également archivé celui du lendemain, de la crue du 4 mai 2007. Il en cite un publié en 2011, titré « Le barrage a fait front ». « Ce qui est sûr, c’est que s’il y avait eu le barrage de Lurberria en 2007, il n’y aurait pas eu tous ces dégâts », annote-t-il.
“Ce qui est sûr, c’est que s’il y avait eu le barrage en 2007, il n’y aurait pas eu tous ces dégâts”
Branchés sur Vigicrues
Les huit millions d’euros investis et le projet finalisé l’année suivante, au terme d’une bataille politique et environnementale de plus de 20 ans, permettent aux habitants d’Urguri comme à ceux du bourg et d’Ibarron de vivre un peu plus sereinement. Les voisins de la presqu’île restent toutefois sur leur garde, connectés non seulement au système d’alerte étatique Pamela mais aussi branchés en direct sur le canal Vigicrues et reliés ; entre eux ; via un groupe WhatsApp spécifique.

Culture et patrimoine Senpere
« Quand il pleut fort, on y pense, on surveille les cotes des hauteurs d’eau et celles des déversoirs. Mais depuis qu’il y a le barrage écrêteur et que le barrage du lac a été sécurisé (en 2021, NDLR), c’est sûr qu’on s’inquiète moins. Ce qui est aussi rassurant et qui fait la différence avec d’autres zones inondables de France c’est surtout que, chez nous, ça ne dure jamais bien longtemps », s’entendent les voisins.
“Ce qui fait la différence avec d’autres zones inondables de France c’est surtout que, chez nous, ça ne dure jamais bien longtemps”
Les montées des eaux engendrent encore parfois quelques dégâts. Les derniers débordements remontent à 2021 et 2022. Mais l’eau se retire vite et les coups de Karcher, donnés en suivant, font bien mieux qu’enlever la boue. « Ce qui est sympa, c’est que, quand ça se produit, on passe d’une maison à une autre et tout le monde vient aider. Il y a vraiment de la solidarité », souligne Jean-Louis Bessonart.
L’histoire du petit Eneko

Archives personnelles Jean-Louis Bessonart
L’unité des hommes face aux aléas de la nature lie les âmes d’Urguri depuis la crue de 2007. Inondations ou non, elle est officiellement célébrée chaque année en juin autour d’un grand repas sous chapiteau, dans le jardin de Jean-Louis. L’idée avait été soufflée aux jeunes par Claude.
« On était tous chez moi à boire un coup et je me souviens avoir dit : ‘’Purée, c’est quand même incroyable, dans le malheur, on est tous là, mais quand ça va bien, on n’est même pas capables de se faire un repas tous ensemble’’ », restitue-t-il près de 20 ans plus tard.
Les agapes ont bien eu lieu cette année : célébrées samedi 14 juin. On y a raconté pour une énième fois l’histoire du petit Eneko, qui a bien failli s’appeler Moïse. Une allusion à la naissance en août 1983 du neveu de Jean-Louis, dont la maman avait quitté la presqu’île la veille de la crue décennale pour accoucher à Bayonne.
« Tout ça, c’est parce qu’elle avait perdu les eaux », s’en amuse-t-on depuis dans l’intimité d’Urguri.