L’exposition Paris Noir réunit 150 artistes africains, américains et caribéens à Paris dans la seconde moitié du XXe siècle, de 1950 à 2000. Selon sa commissaire Alicia Knock, elle « accompagne 50 ans de luttes anticoloniales à Paris », Ville Lumière qui « agit alors comme un laboratoire anticolonial panafricain et permet aux artistes de penser l’émancipation ».
L’exposition rassemble toutes les expressions artistiques, de la danse à la musique en passant par le 7e art, qui accompagne ce mouvement massif de la décolonisation et de ses résonances postcoloniales. Retour sur 7 œuvres à explorer avant la fin de l’exposition, le 30 juin.
1 La décolonisation passe par Présence Africaine
Paris Noir s’ouvre sur un patchwork dédié à l’éditeur historique Présence Africaine, « maison d’édition fondée en 1947 par l’intellectuel sénégalais Alioune Diop ». Au milieu des couvertures de livres trône le cliché où l’on découvre tous les participants du Congrès des artistes et écrivains noirs à la Sorbonne en 1956, rencontre initiée par le fondateur de Présence Africaine. Parmi eux, Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire, qui avec Léon-Gontran Damas, sont les chantres de la négritude.
La rencontre permet « l’essor d’une pensée panafricaine et anticoloniale en France » et « la lutte pour les indépendances en Afrique se joint à celle pour les droits civiques aux États-Unis », explique-t-on dans l’exposition. L’écrivain afro-américain James Baldwin arrive, lui, à Paris en 1948. « La décolonisation (passera) aussi par la culture ». Quelques années plus tôt, l’intellectuel martiniquais Aimé Césaire a produit un texte-programme, Discours sur le colonialisme (1950), qui influencera des artistes comme Wifredo Lam.
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2 « Umbral », le bouclier anticolonial de Wifredo Lam
La lecture du Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire donnera naissance à une « peinture fondatrice », Umbral, signée par le Cubain Wifredo Lam. Sa rencontre avec Césaire influence l’artiste qui transforme « sa vision du surréalisme en outil politique et poétique ». Né à Cuba en 1902, Wifredo Lam arrive à Paris en 1938, se rend en Martinique et en Haïti puis retourne chez lui en 1941. Umbral est « un bouclier totémique croisant masques baoulés et symboles afro-cubains ». « Il va faire beaucoup d’allers-retours entre Paris et La Havane et il revient de manière plus permanente à Paris au début des années 1950″, indique son fils Eskil Lam dans le podcast de l’exposition. « Et là, il va se mettre à peindre tout une série de tableaux, dont fait partie Umbral, en rupture avec ce qu’il faisait avant. »
« Dans les années 1940-1950 à Paris, le surréalisme s’enrichit d’un vocabulaire afro-atlantique influencé par les échanges historiques et culturels entre l’Afrique et les Amériques », précise l’exposition. L’artiste cubain Wifredo Lam en « est la figure centrale ». Son style mêle « totémisme anticolonial et iconographie inspirée de la nature », une approche « qui apporte une dimension écologique et décolonisatrice au surréalisme ».
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3 « La Grande Assemblée kamite », ébauche du voyage du retour
« Dans les années 1960 et 1970, les artistes caribéens, pour certains formés à l’université de Vincennes [près de Paris], travaillent à des formes d’abstraction hantées par l’idée de retour vers l’Afrique, passant par une recherche expérimentale de matières et par une attention constante à la vitalité des formes ». Parmi eux, le groupe Fwomajé, « à la recherche d’une esthétique martiniquaise, se nourrit de références africaines, amérindiennes ou vaudoues ». Bertin Nivor, qui a vu le jour en Martinique en 1946, vient étudier à Paris en 1966. Dans les années 1980, il prend part à la création du collectif Fwomajé « dans lequel il tente de trouver une forme artistique pour représenter visuellement les métaphores de la langue créole ».
En Guyane, « il apprend l’art tembé, hérité des esclaves marrons, dont les motifs portent des significations ». Son œuvre, La Grande Assemblée kamite fait référence au « Kémétisme, inspiré des croyances de l’Egypte antique, à Kama, terme ancien désignant l’Afrique, à l’Azanie, nom utilisé pour désigner la côte orientale de l’Afrique, et au peuple azanien, groupe politique sud-africain fondé en 1978 pour lutter contre l’Apartheid ».
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Peinture vinylique sur toile. Collection de l’artiste (CENTRE POMPIDOU/PARIS NOIR/BERTIN NIVOR)
4 Abstraction et féminisme revisités par l’Afro-Américaine Faith Ringgold
« Dans les années 1980, une nouvelle génération d’artistes femmes africaines-américaines bénéficie de bourses, poursuivant le dialogue franco-américain autour de l’abstraction. Leurs œuvres proposent une réécriture critique de l’histoire moderniste et oscillent entre engagement féministe, effacement et affirmation de soi ». L’Afro-Américaine Faith Ringgold, disparue en 2024, dans The Letter, quatrième volet de la série The Bitter Nest, « explore les dynamiques d’une famille noire de Harlem ».
« L’œuvre suit Celia, médecin accomplie, qui après une romance tragique à Paris, retourne à New York, enceinte et abandonnée. Son parcours incarne les tensions entre émancipation et responsabilités familiales. Son fils, Percel, élevé par une amie, découvre la vérité sur ses origines à travers des lettres d’amour. Ringgold, artiste et militante féministe, adopte ici le quilting [matelassage], tradition africaine américaine qu’elle revisite à travers à travers le textile Kuba du Nigeria. Elle redonne ainsi une voix à l’expérience des femmes noires, longtemps Invisibilisées dans l’histoire de l’art, mêlant émancipation féminine et secrets intergénérationnels. »
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5 « Marianne et les révolutionnaires » par Ousmane Sow
« Paris, point d’ancrage de l’histoire culturelle noire et point de passage de ses diasporas, se prête à partir des années 1970 à des relectures critiques de l’histoire« . Marianne et les révolutionnaires, sculpture signée Ousmane Sow, appartient à une « série commémorant le bicentenaire de la Révolution Française » en 1989.
Ousmane Sow, qui s’est éteint en 2016, est un kinésithérapeute sénégalais qui débute dans les années 1960 une prolifique œuvre sculpturale. En 1991, l’une de ses productions fait la couverture du premier numéro de Revue Noire, magazine dédié à l’art contemporain africain et carribéen. Le sculpteur sénégalais est, en 2013, le premier artiste noir à entrer à l’Académie française.
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6 Indépendances créatives parisiennes
« À la suite de cette effervescence des années 1980 à Paris, les années 1990 voient les collectifs et des lieux auto-organisés du Paris noir se multiplier, alors que l’action institutionnelle, elle, s’appauvrit », explique la commissaire de Paris Noir, Alicia Knock, dans le podcast de l’exposition.
La marque Xuly Bët Funkin’ Fashion Factory est lancée par Lamine Badian Kouyaté est lancée, « au début des années 1990, à l’Hôpital éphémère, « lieu alternatif de résidence accueillant musiciens, danseurs, créateurs de mode et artistes ». C’est l’une de ces « nouvelles structures collectives artistiques (qui) s’ouvrent aux cultures urbaines, de la mode et de la musique, notamment africaines » et apparaissent à Paris dans les années 1980-1990.
Les vêtements de Lamine Badian Kouyaté sont le fruit du « surcyclage ». On y retrouve « des robes faites de collants semi-transparents assemblés par une couture rouge caractéristique de ses créations ». De même, « son défilé blanc, iconique, ses évènements au Grand Rex, au Monde de l’art et aux Bains-Bouches, ses boutiques mythiques des Halles et son studio de Pantin régulièrement transformé en espace festif, Xuly Bët Funkin’ Club, font de lui une référence de la mode underground et urbaine ».
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7 « Revue noire », témoin d’une époque
Fétiche Pascale est l’une des œuvres « d’une série de sculptures totémiques constituées d’un empilement de numéros du magazine Revue Noire, revue internationale d’art contemporain présentant les œuvres d’artistes, musiciens ou créateurs de mode africains ou caribéens, lancée en mai 1991 à Paris par Jean-Loup Pivin, Simon Njami, Pascal Martin Saint Leon et Bruno Tilliette ». La sculpture est l’une des pièces qui referme Paris Noir. L’empilement des magazines rend compte d’une création toujours foisonnante, qui transite par la capitale française, au service de l’émancipation des peuples noirs.
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Collection Revue noire – JLP – PMSL (CENTRE POMPIDOU/PARIS NOIR/PASCALE MARTHINE TAYOU)
« Paris noir » au Centre Pompidou à Paris, jusqu’au 30 juin 2025. De 11h à 21h, tous les jours sauf le jeudi (de 11h à 23h). Fermé le mardi. Galerie 1 (réservation fortement recommandée)