Ils en sont à pas moins d’une vingtaine de procédures diverses, devant les tribunaux administratif et de police, une « guérilla juridique », estime sans détour leur avocat Me Laurent Verdier. Ce jeudi 22 mai, à La Rochelle, l’instance qui a convoqué sur le banc des prévenus neuf agriculteurs irrigants du nord de la Charente-Maritime constitue pourtant une nouveauté. Pour la première fois, ils sont jugés devant une chambre correctionnelle pour « des poursuites ambitieuses », concède, motivée, Sophie Debas pour le Ministère public : l’exploitation sans autorisation d’une installation nuisible à l’eau et au milieu aquatique, et le non-respect d’une mise en demeure. Des délits qui peuvent leur coûter bien plus qu’une habituelle contravention : deux ans d’emprisonnement et jusqu’à 100 000 euros d’amende.
Ces neuf irrigants, qui ont tous fait valoir leur droit au silence, convoqués à titre personnel et en tant que personne morale de leur exploitation, font partie de l’Association syndicale autorisée d’irrigation (ASAI) des Roches. C’est cette structure collective qui avait initié, en 2009, la construction de cinq réserves de substitution à Cram-Chaban, La Laigne et La Grève-sur-Mignon dans le but d’irriguer les cultures céréalières. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu.
Le premier arrêté d’autorisation de remplissage et d’exploitation délivré par la préfecture en 2008 était aussitôt attaqué et annulé par le tribunal administratif, la juridiction estimant les ouvrages surdimensionnés et les études d’impact environnemental insuffisantes. La même préfecture de Charente-Maritime délivrait une seconde autorisation de remplissage et d’exploitation de ces mêmes réserves en 2015, elle aussi attaquée et annulée en 2018, définitivement par le Conseil d’État en 2023. Malgré les recours, la décision était exécutoire dès 2018.
Une utilisation autorisée sous conditions
Sur les cinq bassines construites par l’ASAI des Roches, quatre sont visées dans la période de prévention d’octobre 2020 à mars 2023, l’une d’elles n’étant plus opérationnelle. Ce jeudi, il ne leur est pas reproché de les avoir construites mais de les remplir l’hiver en pompant dans les nappes phréatiques, ce qui leur est strictement interdit. « Pour ménager tout le monde », il leur était néanmoins possible d’utiliser ces réserves en tant que bâches de reprise technique, c’est-à-dire de faire transiter l’eau entre la terre et les exploitations en mettant sous pression les bassines. Une utilisation sous contraintes de volume et autorisée seulement l’été. Aucun agriculteur ne s’est soumis à en faire la demande.
« Ce qui est sûr, c’est que l’eau stockée a été utilisée par les irrigants ici présents »
Les agents de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) et les gendarmes chargés de l’enquête après la plainte de Nature Environnement 17 ont cependant constaté que les échelles millimétriques des quatre bassines présentaient un niveau de remplissage un peu trop important pour n’être que de l’eau de pluie. « 17,70 mètres de profondeur » pour celle-ci, « 10,50 mètres, quasiment au maximum de sa capacité » pour celle-là. « En novembre 2020, un bruit d’écoulement est entendu, le forage était manifestement en action, en pleine période hivernale », relate la procureure.
À qui profite le crime ?
Il est certain que jamais aucune autorité n’a vu l’un des neuf prévenus ouvrir les robinets. « Il n’y a pas de flagrant délit mais qui aurait intérêt à remplir les bassines ?, questionne le Ministère public qui a sa petite idée. Ce qui est sûr, c’est que l’eau stockée a été utilisée par les irrigants ici présents. » Sophie Debas requiert 15 000 euros d’amende par personne physique et 70 000 euros en tant que personne morale. Une sacrée somme quand on sait que les agriculteurs de l’ASAI des Roches ont investi 1,9 million d’euros pour la construction des cinq ouvrages, l’État avait pris 3,7 millions d’euros à sa charge.
Du côté de la défense, on soulève des exceptions de nullité et on plaide la relaxe. Pour Me Verdier, la prévention doit être requalifiée pour des faits contraventionnels. Il affirme aussi que les prévenus ont déjà été jugés pour les mêmes faits devant le tribunal de police et estime que la mise en demeure concerne exclusivement l’ASAI des Roches. « Ils ne peuvent pas être poursuivis à titre personnel. » Enfin, il plaide l’absence d’éléments légal, matériel et moral. « Pourquoi les remplir l’hiver alors qu’ils peuvent les utiliser l’été ? Mes clients devraient être sur le banc des victimes, victimes de l’abandon de l’État et des opposants. Ils ne demandent qu’à exercer leur beau métier d’agriculteur. »
La décision a été mise en délibéré au 8 juillet prochain.