Sorties ciné. L’Inconnu de la Grande Arche : une plongée dans les travaux qui ont changé Paris

Nov 5, 2025 | Paris



Jamais le cinéma n’avait si obstinément ressuscité des architectes. Après le délire mégalo de Francis Ford Coppola (Megalopolis) et le monolithe glaçant de Corbet (The Brutalist), voici le biopic de Johan Otto von Spreckelsen, le créateur de la Grande Arche de la Défense dans un film français à l’équerre : sobre, droit, sans fioriture.

Il y a plusieurs qualités au film bien bâti, solide, et carré de Stéphane Demoustier (La Fille au Bracelet, Borgo). D’abord, la vertu du temps retrouvé, septennat en travelling précis axé sur l’âge d’or des Grands Travaux sous François Mitterrand, bâtisseur de cathédrales laïques, dernières flambées d’un romantisme d’État. De 1981 à 1995, le chef de l’État socialiste aura multiplié les chantiers qui vont changer Paris et marquer sa présidence. Plusieurs édifices sont inaugurés en 1989, pour le bicentenaire de la Révolution française. Dont la monumentale Grande Arche de la Défense, ouvrage de 110 mètres de haut, en granit et en marbre de Carrare, en son centre un vide si parfait qu’on y voit passer les nuages. « Il y avait du panache dans ce projet, mais aussi un certain gaspillage », déclare Stéphane Demoustier.


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Son film vise bien, fait le portrait juste de Mitterrand homme de culture supérieur, avec un côté « le roi et l’architecte ». L’un signe les décrets, l’autre trace les lignes. L’un meurt couronné, l’autre crucifié par son cube. Côté Élysée, Michel Fau est mitterrandien en diable, matois, malin, machiavélique. Autour de lui, la cour : conseillers en costumes gris, courbettes et chuchotis. Xavier Dolan, en homme de l’ombre, minaude, calcule, sert les coups bas. On jurerait Versailles transplanté sous les dorures de la République servile.

Côté créateur, Claes Bang (vu dans The Square, Palme d’or 2017) est idéalement intransigeant dans le rôle de l’architecte von Spreckelsen. Il arrive de Copenhague avec un dessin : un carré parfait, vide au milieu, ciel dedans. Pas une concession. Ni aux ingénieurs, ni aux délais, ni aux bureaucrates. Il veut que l’Arche soit « une fenêtre sur l’éternité ». Il la veut tellement qu’il en crève. Le cube grandit ; l’homme rapetisse. Il meurt en 1987, à 55 ans, pendant la construction de l’édifice, achevée par son coarchitecte, le Français Paul Andreu — Swann Arlaud, rôle sérieux, sérieusement endossé —, qui a pris la relève en juillet 1986.

Stéphane Demoustier filme cette ascension et cette chute sans pathos, juste la géométrie d’un destin. L’Inconnu est un portrait un peu distant, froid même, mais fait œuvre de réhabilitation d’un homme en quête d’absolu ou comment une œuvre colossale peut écraser son auteur. L’histoire, paresseuse, a retenu « Grande Arche de la Défense », il faudrait dire « l’Arche de Spreckelsen ».

L’Inconnu de la Grande Arche de Stéphane Demoustier, en salles dès ce mercredi 5 novembre. Durée : 1 h 46.