Biennale Euro-Africa à Montpellier : “Il est urgent que les Africains passent de prestataires à partenaires”

Oct 11, 2025 | Montpellier

La manifestation montpelliéraine (6-12 octobre) ambitionne de redéfinir les relations entre les deux continents. En promouvant un véritable partenariat et la coconstruction de projets interculturels.

« Refuge, ce qui reste » est une œuvre-installation tissée, peinte et construite à partir de matières brutes, réalisée par Sanaa Mejjadi, visible jusqu’au 12 octobre, à l’hôtel Aures à Montpellier, dans le cadre de la biennale Euro Africa. « Refuge, ce qui reste » est une œuvre-installation tissée, peinte et construite à partir de matières brutes, réalisée par Sanaa Mejjadi, visible jusqu’au 12 octobre, à l’hôtel Aures à Montpellier, dans le cadre de la biennale Euro Africa.
« Refuge, ce qui reste » est une œuvre-installation tissée, peinte et construite à partir de matières brutes, réalisée par Sanaa Mejjadi, visible jusqu’au 12 octobre, à l’hôtel Aures à Montpellier, dans le cadre de la biennale Euro Africa. Photo Brice Pelleschi

«On fait un document et après ? » Comme l’activiste sénégalais Fadel Barro, cofondateur du mouvement citoyen Y’en a marre, une trentaine de membres de l’Assemblée des diasporas, réunis le 8 octobre à Montpellier dans le cadre de la Biennale Euro-Africa, se creusent la tête sur la manière de changer concrètement la coopération entre les deux continents. Fruit de leur journée de réflexion, « la déclaration de Montpellier » entend instaurer un « nouveau chemin » pour aboutir à des projets interculturels coconstruits de A à Z, de la conception à la mise en œuvre. En attendant qu’une institution ne ratifie le texte, celui-ci relève du vœu pieux. Mais il a le mérite de porter haut et fort une volonté manifeste de changement. « Dans les coopérations internationales, il est urgent que les Africains passent de prestataires à partenaires », résume Adama Kante, l’une des rédactrices du document et présidente de l’Association des Sénégalais de l’Hérault.

Instaurer des relations plus horizontales pour mettre fin à une dynamique Nord-Sud à sens unique : c’est l’ambitieux objectif de la seconde édition de la biennale Euro-Africa, qui se déroule du 6 au 12 octobre dans la capitale héraultaise. Plus d’une centaine d’événements culturels gratuits — de la danse à la mode, en passant par les arts visuels et la gastronomie — y sont organisés. Aux manettes de cette programmation, on retrouve notamment le Français Vincent Cavaroc, à la tête du tiers-lieu local la Halle Tropisme et directeur artistique de la Gaîté Lyrique à Paris. Bien que sa grille contienne quelques noms confirmés, il a priorisé « les artistes émergents de la scène africaine et de la diaspora », mettant en avant les collaborations qui représentent 50 % de la programmation. Pas de cocoordinateur africain pour l’épauler, mais un comité éditorial composé de personnalités de la diaspora africaine.

« Montpellier se veut un espace de dialogue, un point d’entrée pour que la vitalité de la scène artistique africaine s’exprime en Europe », soutient le maire socialiste Michaël Delafosse dont la métropole alloue 200 000 euros à l’événement, avec le soutien de l’Agence française de développement, de l’Institut français et de mécènes. La Biennale s’est passée de sponsors étatiques africains dans une volonté assumée de privilégier les partenariats avec des acteurs culturels et économiques du continent. Transformer les axes de coopération était déjà le thème de la première édition de la Biennale en 2023. Elle faisait suite au sommet Afrique-France de 2021. Emmanuel Macron n’avait pas convié de chefs d’État africains, mais des centaines de jeunes Africains issus de la société civile. Et annoncer que la culture serait le premier axe d’une coopération renouvelée, plus égalitaire. Alors, depuis, qu’est-ce qui a changé ?

D’abord la situation politique. L’exposition « Multiple Sahel », inaugurée le premier soir de la Biennale, est venue rappeler l’ampleur de la défiance que subit actuellement la France en Afrique. Regards croisés du photographe malien Souleymane Ag Anara et de son homologue français Jérôme Labeur, cette exposition sur les habitants du Sahel nigérien est la survivante de l’ultime collaboration culturelle entre la France et le Niger, stoppée par l’arrêt des relations diplomatiques entre les deux pays en 2023 à la suite du putsch militaire du général Tiani.

Il est important que les projets artistiques européens soient aussi présentés aux populations locales.

Ensuite, une volonté croissante d’une partie de la jeunesse africaine de s’éloigner des symboles et lieux associés à l’ancienne puissance coloniale. Salia Sanou, danseur et chorégraphe burkinabé qui prendra la direction du Centre chorégraphique national de Nantes début 2026, considère la Biennale comme une excellente initiative. Ce qui ne l’empêche pas de dire qu’à long terme, les acteurs de la diplomatie culturelle européens doivent repenser leurs espaces de dialogue sur le continent. Et de citer en exemple la décision de transformer l’Institut français du Bénin en un Institut franco-béninois : « Quand on sent qu’un bâtiment nous appartient aussi, on en prend soin» Il préconise aussi de s’appuyer davantage sur les collectivités africaines. « Pourquoi ne pas imaginer que la prochaine édition de la Biennale se déroule dans une ville du continent ? Il est important que les projets artistiques européens soient aussi présentés aux populations locales. Et puis cela permettrait de contourner les difficultés liées à la mobilité, qui représentent un véritable obstacle pour de nombreux artistes africains. »

Salia Sanou en sait quelque chose : son dernier spectacle, D’un lointain si proche, met en lumière neuf jeunes artistes camerounais. Une représentation devait avoir lieu en avant-première ce vendredi 10 octobre à Montpellier, mais les danseurs n’ont pas pu faire le voyage, en raison de « tracasseries administratives », alors que leur pays se prépare à élire son président ce dimanche 12. Qu’importe, Salia Sanou a choisi de la maintenir. Seront projetées des images des danseurs filmés lors de leurs répétitions à Yaoundé par l’artiste visuel Nicolas Clauss, pour un spectacle hybride mêlant chant, vidéo et danse.

Ainsi, la Biennale Euro-Africa soulève une question cruciale : jusqu’où les acteurs de la culture sont-ils prêts à aller pour transformer leurs discours en actions concrètes et surmonter les obstacles qui entravent la circulation des artistes et des idées ? « À long terme, ce dialogue passera peut-être moins par les institutions pour se faire directement entre les artistes et citoyens des deux continents », professe Salia Sanou qui considère qu’à ce titre, la diaspora africaine a un rôle clé à jouer pour favoriser ces nouvelles passerelles.

Biennale Euro-Africa, jusqu’au 12 octobre dans plusieurs lieux à Montpellier. Programmation : euro-africa.montpellier.fr