Paris est-elle devenue un triste continuum de coffee shops et d’agences immobilières ?

Sep 30, 2025 | Paris

Il suffit de se promener dans deux ou trois rues de Paris, dans les arrondissements du centre, pour se rendre compte que les boutiques, librairies, magasins de bouche...ont cédé la place aux nouveaux cafés : les coffee shops.
Il suffit de se promener dans deux ou trois rues de Paris, dans les arrondissements du centre, pour se rendre compte que les boutiques, librairies, magasins de bouche...ont cédé la place aux nouveaux cafés : les coffee shops.
Il suffit de se promener dans deux ou trois rues de Paris, dans les arrondissements du centre, pour se rendre compte que les boutiques, librairies, magasins de bouche…ont cédé la place aux nouveaux cafés : les coffee shops.
kolderal / Getty Images

CHRONIQUE – Un café ou un appartement ? Indépendantes ou en chaînes, échoppes cafetières et agences immobilières semblent envahir la capitale, pour le meilleur et pour le pire.

Je vous parle d’un temps que les amateurs de café de moins de 20 ans honnissent : celui où le petit serré avait le goût de la machine du bistrot du coin. Un goût variant de l’amer au métallique, selon que la machine ait été suffisamment bien nettoyée par le tenancier du lieu. Un temps durant lequel le choix était réduit : le café était partout pareil, se distinguant par sa taille (ou plutôt celle de sa tasse : normal, serré, allongé, double…) ou les rajouts éventuels (au lait, de vache, pas la peine de chercher autre chose, et sa variante cappuccino…). Avec un idéal partagé par toutes et tous : l’italien, forcément meilleur que tout, qui ne se buvait que là-bas, debout au comptoir. Désormais, ce temps est révolu. Il suffit de se promener dans deux ou trois rues de Paris, dans les arrondissements du centre, pour se rendre compte que les boutiques, librairies, magasins de bouche et autres lieux de confection ont cédé (et continuent à le faire) la place aux nouveaux cafés : les coffee shops, aux enseignes et design venus tout droit de Brooklyn, qui proposent des cafés d’origines très précises, et dans lesquels on peut acheter le café, selon des crus et des variétés, des pays et des régions, comme on achèterait du vin (nature ?) chez un caviste. Certains proposent même des abonnements mensuels, à la Netflix. Et il n’est pas rare d’y payer le café quasiment aussi cher qu’un abonnement à Netflix…

Qu’est-ce que cela a changé profondément en nous ? Le goût, tout d’abord, qui a évolué en quelques années, faisant du café rance de comptoir un breuvage un peu trop dur, un peu difficile à ingurgiter, tandis que les cafés proposés dans ces nouveaux lieux s’attardent sur la saveur, les différences, la distinction. Parfois, bien sûr, cela frise le ridicule – préférez-vous votre café avec des arômes de chocolat-noisette, une acidité plus ou moins longue en bouche ? À 6h50 du matin, quand il s’agit de faire le sien, la question trouve mal sa réponse. Cet apprentissage à l’ouverture des goûts du café a débuté avec la folie des capsules, notamment due à Nespresso, qui en proposant des variantes n’a pas uniquement fait œuvre marketing, mais a permis de réaliser la diversité possible. Indépendantes ou en chaînes, ces nouvelles échoppes cafetières remplissent désormais parfois la moitié des enseignes d’une même rue, tandis que l’autre moitié est colonisée par des agences immobilières. Les rues qui résistent sont les artères déjà monopolisées par les grands magasins de la fast fashion, dont le poids et le volume ne laissent guère de place aux plus petits lieux.

Viendra le moment où l’on qualifiera le café de « café d’auteur

Joseph Ghosn

J’ai en tête un indice secret qui relierait les coffee shops nouvelle génération au pullulement des agences immobilières : plus le prix du café s’envole, plus celui des appartements suit la tendance à la hausse. Une étude récente d’un institut célèbre a bricolé l’indicateur Barnes, du nom des agences d’immobilier de luxe, qui, selon leur emplacement urbain, permettrait de voir là où les prix s’envolent. Les coffee shops, j’en suis persuadé, précèdent les agences Barnes de peu. Il suffit de voir que l’un des derniers arrondissements à résister à la tendance commence à se laisser envahir : on a noté des coffee shops de la chaîne Noir du côté de la Muette et on en a même aperçu un plus bas sur l’avenue Mozart, indépendant mais tenant ferme tous les attributs du genre, à commencer par la sélection de cookies, brownies, matcha et cafés pointus…

Bientôt, comme dans le cinéma des années 60 et la gastronomie des années 2000 viendra le moment où l’on qualifiera le café de «café d’auteur». Et on ne saura plus ce que l’on paie : une rareté gustative, un goût différent, une distinction intellectuelle ? En tout cas, il faudra payer de plus en plus cher pour un café – j’ai récemment déboursé 11 euros pour une viennoiserie et un latté, le paiement sans contact ayant servi à chaque fois d’intermédiaire indolore, comme le dirait mon psy, dans cette transaction qui ressemble davantage à un vol à main armé qu’à un doux moment de réveil matinal.