Enfin ! Près de six ans et demi après l’incendie, un peu plus de neuf mois après la réouverture de la nef, voilà les tours de Notre-Dame accessibles aux visiteurs… dont l’impatience a fait s’envoler en 24 minutes seulement les places proposées gratuitement à l’occasion des Journées européennes du patrimoine, le week-end dernier. Quelques jours avant l’événement, on se sent privilégié d’être invité à gravir les 424 marches.
Artisans et nettoyeurs y mettent la dernière main, pour présenter la dame de pierre sous ses plus beaux atours. Les lumineux colimaçons de pierre paraissent presque neufs ; ils n’ont que huit siècles, c’est encore très jeune. Les nouveaux panneaux y dénombrent les marches gravies et restantes : on songe évidemment à Sylvain Tesson, qui les a usées plus qu’aucun autre… Il y a dix ans, l’écrivain avait fait des tours un parcours original de rééducation quotidienne : une rédemption à sa façon, au sein d’un monument qu’il avait tant de fois escaladé clandestinement…
Quand souffle le vent de l’Histoire
Marie Lavandier, présidente du Centre des monuments nationaux, revendique l’objectif de proposer « plus qu’une simple ascension sur le toit de Paris ! Une expérience renouvelée, scandée par des paliers, un véritable voyage dans le temps ». On accède au sommet de la tour sud, 69 mètres de haut, par grappes de 19 personnes seulement. Trêve de chiffres, place au souffle ! Pour les moins alertes, il est un peu court – pas d’inquiétude, on peut le reprendre au gré des étapes du nouveau parcours qui permet de ménager sa monture. La vue saisissante sur le parvis et les splendeurs de Paris coupera de toute façon ce qu’il reste de souffle.
En haut du promontoire rêvé de l’île de la Cité, le vent ne fait pas broncher la flèche irréprochable
En haut du promontoire rêvé de l’île de la Cité, le vent ne fait pas broncher la flèche irréprochable, au pied de laquelle s’affairent encore quelques couvreurs, sous le regard des statues des apôtres qui ont retrouvé leur place. On a senti le souffle de l’Histoire, peu avant, dans la salle des Quadrilobes, qui fait résonner les grandes heures des tours : 1302 pour les États généraux de Philippe le Bel, 1660 avec le Te Deum en l’honneur de Louis XIV et Marie-Thérèse d’Autriche, 1804, le sacre de Napoléon, et 1944, le Magnificat chanté pour célébrer la libération de Paris, en présence du général de Gaulle.
Un bourdon et des chimères
Emmanuel Macron était-il à bout de souffle ? Vendredi, il se réjouissait de voir parachevé ce chantier dans lequel il s’est beaucoup impliqué, mais il paraissait étrangement absent. Une contagion du bourdon Emmanuel, son homonyme de 13 tonnes ? Le chef de l’État faisait malgré lui écho au chant de Péguy à « la dame » qui « a mis pour toujours la liberté de l’âme, […] Et tous ces boniments et tous ces bonisseurs, / Et les gouvernements gendres et successeurs / Sous le commandement des tours de Notre-Dame ». Le président semblait toisé par le bestiaire de pierre de la galerie des chimères…
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Cette dernière ne fait d’ailleurs plus partie du parcours, mais deux des créatures fantastiques sont exposées, tandis qu’à leur place originelle veillent des copies. La Femme à tête de chien et La Créature montrant ses crocs, trop fragilisées par l’incendie, nous rappellent que, sous le ciel de Paris, « Près de Notre-Dame / Parfois couve un drame… » Pour compenser, la visite offre désormais une vue inédite : depuis la cour des citernes, entre les deux tours, on peut apercevoir la fameuse « forêt » de la charpente médiévale restaurée.
Une cathédrale vivante
L’autre nouveauté majeure est le spectaculaire escalier à double révolution en chêne massif, chef-d’œuvre de charpenterie présenté par Philippe Jost, président de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris. Comme à Chambord, l’escalier permet aux visiteurs qui montent de ne pas croiser ceux qui descendent ! Saluant l’idée de Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques, Philippe Jost loue le savoir-faire des compagnons, qui y ont laissé leur marque comme au Moyen Âge, et la fidélité à l’esprit gothique, « où tout répondait à une utilité ».
« Quand le bourdon se met en volée, le haut du beffroi bouge de plusieurs centimètres ! »
Ainsi les beffrois en bois sont-ils destinés à absorber les vibrations des cloches, que ne pourraient pas encaisser les pierres seules : « Quand le bourdon se met en volée, le haut du beffroi bouge de plusieurs centimètres ! » La réalisation majeure est une nouvelle illustration de cet « esprit Notre-Dame » qui a habité le chantier, pour restituer « une cathédrale vivante, avec ses vocations cultuelle, culturelle et touristique ».
Les 400 000 visiteurs annuels attendus pour cette déambulation unique seront accompagnés, en redescendant dans la tour nord, par la création sonore de Valérie Vivancos, qui se montre émue de dévoiler son travail conçu en quatre mouvements, « du céleste au terrestre ». Sur le parvis, on est encore étourdi. Était-on vraiment là-haut, tel Quasimodo, dans « les deux noires et massives tours avec leurs auvents d’ardoise, parties harmonieuses d’un tout magnifique […], avec leurs innombrables détails de statuaire, de sculpture et de ciselure, ralliés puissamment à la tranquille grandeur de l’ensemble » ? C’est notre âme : la « vaste symphonie en pierre » qu’Hugo rendit si belle semble à nouveau éternelle.
