Devant la salle des fêtes de La Genétouze, au sud de la Charente-Maritime, un groupe d’hommes discute, assez proche de l’entrée pour deviner leur intérêt pour le bal, mais assez loin pour ne pas trop le montrer. « Ah non, nous on n’est pas venus pour ça, on regarde juste ! » Les rires s’enchaînent, témoins d’un certain malaise. Quelques minutes plus tard, l’un des leurs évolue au cœur de la salle des fêtes, le buste orné d’un numéro.
Car ici, ce samedi 30 août, au bal des célibataires, chacun porte un numéro qui sert à l’identifier. À La Genétouze, depuis 1978, la fête, anciennement la foire aux célibataires, est une institution. Elle a lieu chaque année sur quatre jours, de quoi laisser le temps aux relations de s’amorcer.

XAVIER LEOTY/SO
Au départ, un bal dédié aux agriculteurs
« La foire, c’est l’histoire d’une petite commune avec une population essentiellement agricole qui était souvent célibataire, raconte Sylvette Maurice, habitante de La Genétouze depuis toujours. Le secrétaire du comité des fêtes de la commune de l’époque a eu l’idée de mettre en place un événement pour faire se rencontrer les gens seuls. La foire répondait à une vraie demande des gens. À cette époque, faire des rencontres était moins facile qu’aujourd’hui avec les réseaux sociaux et les sites de rencontres. »
En cette journée, les célibataires peuvent se reconnaître grâce à des numéros qui les différencient des personnes en couple. À leur arrivée, ils remplissent une fiche avec leur profession, centres d’intérêt et un pseudo « qui rend les identités anonymes, précise Christine Marty, présidente du comité d’organisation du bal. Ce qu’on ressent depuis l’année dernière, c’est que l’attrait revient. Les gens sont plus méfiants sur les sites de rencontre. Ici, on ne peut pas tricher. »

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Une fête dans le cœur des gens
Dans la salle, un karaoké a pris place. Célibataires et personnes en couple dansent au rythme de la musique. Autour des tables, les contacts se font doucement. À gauche, une double rencontre se déroule : deux femmes et deux hommes chahutent ensemble. Des duos prennent forme, des groupes de copines rigolent entre elles. « C’est une fête où tout le monde est le bienvenu, affirme Christine Marty. La fête n’appartient ni à la mairie, ni à la présidente du comité des fêtes, mais à tous les habitants de la commune de La Genétouze. »
Au milieu de la salle, Françoise et Christian papillonnent. Ce couple s’est formé grâce à la foire il y a 17 ans. « J’ai vécu soixante-cinq ans à La Genétouze, conte Françoise. En 2008, je me retrouve célibataire et vais à la foire comme tous les ans. Je ne m’inscris pas en tant que célibataire, je voulais être discrète. Je ne me voyais pas me balader avec un numéro. » Le dimanche soir, dernier jour, elle y retourne sans vraiment en avoir l’envie, avec un groupe de copains. À un moment, un homme l’invite à danser un slow, ils discutent, passent la soirée ensemble et l’alchimie fait le reste. « Depuis, on ne s’est pas quitté et ça fait neuf ans qu’on habite ensemble à Meschers. »

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Une autre Françoise est elle aussi une grande habituée du bal. « J’étais présente à la première édition ! J’ai vieilli avec la fête », clame-t-elle. Célibataire affirmée, cette Françoise-là ne désespère pas : « Il faut que je trouve quelqu’un comme moi. Hors de question de me mettre avec un homme qui passe son temps devant la télé, affalé sur le canapé à attendre sa bière », ironise-t-elle. Les sites de rencontre, elle a déjà essayé, mais rien à faire. Quand on lui en parle, c’est la misère. « Je n’aime pas ça, et j’ai essayé pourtant. Mais le virtuel ça ne me va pas du tout, j’ai besoin de contact avec l’autre. »
Une nostalgie bien présente
Avec le temps, la renommée de la foire des célibataires s’est tout de même essoufflée malgré la volonté des organisateurs. « Le bal n’a plus du tout la même image. Je suis très nostalgique, avoue Sylvette. J’ai l’impression que les personnes qui viennent ont essayé tout le reste et que c’est leur dernière chance. »
« Ce qui est dur, c’est que l’ancien public attend la fête de 1978 », répond Christine Marty. Cette année, 500 personnes étaient attendues le samedi soir pendant le marché nocturne. À l’apogée de la foire, c’était 3 000 à 4 000 personnes qui se déplaçaient de la France entière. « J’ai rencontré un groupe de Grenoble une année », confie Francis Boisvert, dit Bosco. Ayant vécu toute sa jeunesse dans la commune, il plonge dans ses souvenirs. « La vraie foire, c’était autre chose, on ne pouvait pas se garer, les parkings étaient pleins. C’est différent aujourd’hui, mais ça permet de ramener de l’ambiance dans la commune. »