Il se dorait au soleil d’Oléron bien avant que ce ne soit une île et il est aujourd’hui aux premières loges du grignotage des côtes par l’océan. Cela suffirait à faire du lézard ocellé un animal hors du commun. Sa taille, c’est le plus grand lézard d’Europe, et les taches bleues – des ocelles – ornant ses flancs complètent cet intrigant tableau. C’est sûrement un peu de tout ça qui a poussé trois amis scientifiques, dans les années 1990, à se pencher sur son cas.
Parmi eux, Jean-Marc Thirion, écologue aujourd’hui directeur de l’association Objectifs Biodiversités (Obios), basée à Pont-l’Abbé-d’Arnoult. « On ne connaissait pas grand-chose de l’espèce, et les naturalistes la considéraient comme très rare sur l’île. On s’est rendu compte que si elle était très localisée, il y avait plus d’individus que ce qu’on imaginait. » Aujourd’hui, Jean-Marc Thirion en sait beaucoup plus sur le lézard ocellé oléronais. Car il a ses particularités. « Il est plus petit que ceux du continent, 1 à 2 cm de moins. » Soit une quarantaine de centimètres de la tête au bout de la queue. Il présente aussi une couleur gris-jaune tranchant avec le vert pétant des spécimens continentaux. Pourtant, ces spécificités qu’il a mis des millénaires à développer sur son île pourraient définitivement disparaître.
Habitat en danger
Ce constat désolant, Jean-Marc Thirion et ses collègues d’Obios ne l’ont pas formulé tout de suite. Au début des années 2000, les estimations de la population, concentrée au sud-ouest de l’île, fluctuent autour de 1 500 individus. Mais de premiers signes de déclin poussent l’association à s’allier à l’Office national des forêts (ONF), en 2007, dans le but de préserver l’habitat du lézard ocellé. Des gîtes artificiels sont créés, ainsi que des exclos pour protéger les lapins des prédateurs sur la dune grise. Les lapins, en effet, entretiennent une garenne constituant un habitat idéal pour le reptile.
Si elles freinent un temps la disparition de l’habitat du gros lézard, ces mesures ne peuvent rien face aux grosses séries de tempêtes hivernales des dernières années. Avalée par l’océan, la dune grise, colonisée par le reptile, a perdu des dizaines d’hectares depuis dix ans. « Si on ne fait rien, il aura disparu d’ici vingt ou trente ans, alerte le scientifique. C’est une course contre la montre. » Les dernières estimations le confirment : il n’y aurait plus que 150 lézards ocellés sur l’île. Alors avec l’ONF, depuis quelques années, Obios aménage des clairières forestières en arrière de la dune grise qui disparaît. L’objectif : créer un habitat de repli, sachant que le lézard ne peut vivre en forêt, « ce n’est pas son espace ».
« On s’est rendu compte que des gens les recherchaient pour les mettre dans leur vivarium »
Mais le recul du trait de côte, principale menace pour la survie de l’espèce sur Oléron, est trop rapide et intense. Alors en plus de la sauvegarde de l’habitat du reptile, Obios travaille depuis 2020 à un deuxième axe pour le sauver : la réintroduction d’une colonie dans le nord d’Oléron. Un « énorme travail » qui réclame de convaincre les financeurs, de sélectionner un site adapté, d’effectuer une étude génétique, de choisir un lieu pour l’élevage conservatoire… « Ce ne sera pas en place avant quatre ou cinq ans », calcule Jean-Marc Thirion.

Jean-Christophe Sounalet / SO
Dans un camp militaire
Pendant ce temps, il faudra continuer de se battre pour préserver la population du sud-ouest de l’île. Qui, en plus de la prédation de la couleuvre verte et jaune et des chiens, doit se méfier des collectionneurs. « On s’est rendu compte que des gens les recherchaient pour les mettre dans leur vivarium. On a des éléments qui le prouvent et on a déjà porté plainte. » Classée vulnérable, l’espèce attise la convoitise par sa rareté. La population oléronaise constitue la dernière colonie insulaire de France – il y en avait autrefois sur les îles méditerranéennes de Porquerolles et Ratonneau – et les autres spécimens français se concentrent sur les côtes atlantique, notamment dans les Landes, et méditerranéenne. Cependant, la Charente-Maritime a la chance de compter une autre colonie, d’une centaine d’individus, dans… un camp militaire, à Bussac-Forêt. Où, semble-t-il, il y a beaucoup moins de problèmes avec les collectionneurs indélicats.
Loto de la biodiversité
La sauvegarde du lézard ocellé oléronais est l’un des 21 projets soutenus dans le cadre de Mission nature, sorte de loto de la biodiversité porté par la FDJ et l’OFB (Office français de la biodiversité). Si vous achetez un jeu à gratter Mission nature, 43 centimes de vos 3 euros iront à l’OFB. Dans le cas du lézard ocellé, les fonds serviront au programme de restauration des clairières, d’un montant de 68 000 euros.