La Poste s’affranchit de ses boîtes aux lettres

Juil 30, 2025 | Saint-Pée/Biarritz

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Sous l’Ancien Régime à Paris, longtemps avant la révolution numérique, les premières boîtes aux lettres du royaume furent aussitôt défaites par un petit ennemi armé jusqu’aux dents : les souris dévoreuses de papier. Une quinzaine de coffrets que d’ailleurs la population boudait, notables et commerçants préférant encore faire déposer leurs plis au bureau de poste. Par un prompt renfort d’échanges épistolaires, elles se virent enfin 50 000 aux portes de la Première Guerre mondiale. La plupart du temps scellées dans la façade de la mairie, sur un arbre ou bien près de l’église du village. Ce que leur reproche notamment La Poste aujourd’hui, en somme, être restées dans leur jus en dépit des changements démographiques et culturels du pays. « Beaucoup ne sont plus adaptées au paysage, inutilisées ou même dangereuses lorsque la petite route d’autrefois est devenue un axe surfréquenté », se défend Marie-Sylvie Lasserre, directrice opérationnelle pour les Deux-Sèvres et de la Charente-Maritime.

Il en reste 121 000

Car sans reconnaître ouvertement un objectif chiffré, ordre a bien été donné d’en supprimer autant que faire se peut à travers villes et campagnes. De Saint-Pée-sur-Nivelle – au Pays basque – jusqu’aux Landes de Gascogne en passant par le marais charentais, depuis le début de l’année, environ une quarantaine l’ont déjà été dans chacun des 12 départements d’une région Nouvelle-Aquitaine qui en compte tout de même encore plus de 13 000.

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Officiellement au terme d’une franche et cordiale discussion avec l’élu concerné, en réalité parfois à la dérobée. Ainsi la maire de Balizac (33) vient-elle fortuitement de découvrir l’une de ses deux boîtes jaunes bardée d’un ruban adhésif signalant qu’elle était désormais hors-service. Davantage encore que le fond, c’est la forme que conteste Nathalie Duluc. « Comment peut-on se comporter de la sorte ? Pas un coup de fil, pas un mail, rien que ce mépris auquel sont hélas habitués les maires ruraux. Une fois de plus, l’administration nous met en porte-à-faux, puisque c’est à moi, bien sûr, que les habitants feront des reproches. »

« Comment peut-on se comporter de la sorte ? Pas un coup de fil, pas un mail, rien que du mépris. »

Pour le reste, à trop vouloir accuser La Poste des pires réformes péremptoires, l’on oublie un peu vite que la mort lente, et très partielle, des boîtes aux lettres – dans le jargon dites « BAL » – n’est que le dommage collatéral d’une baisse drastique de nos correspondances privées et professionnelles. Six milliards de plis distribués l’an dernier, soit trois fois moins qu’en 2008, quand les projections n’en laissent plus augurer que trois milliards à l’horizon 2030. Et certaines BAL alors de sonner creux lorsqu’à peine cinq ou six lettres y sont glissées chaque semaine, derniers vestiges d’un monde englouti par les flots d’échanges dématérialisés. « Qu’importe si ces boîtes ne sont utilisées que par quelques familles dans un hameau ou un quartier populaire, c’est bien le service de proximité qui doit primer », s’agace Xavier Dauga, syndicaliste chez SUD PTT Gironde. « Au lieu de ça on leur inflige une punition pour manque d’appétit postal. »

Loupiac
Loupiac
Thierry DAVID/SO

La BAL des abandonnés

Dans certains villages éparpillés en mille morceaux, là où la présence d’un bureau de poste n’était déjà plus qu’un lointain souvenir, la perte d’une boîte jaune – aussi symbolique soit-elle – confine ainsi chez les plus vieux au sentiment d’abandon. Qu’il soit réel ou supposé, quand il ne suffit pas, comme en ville, de pousser jusqu’au coin de la prochaine rue pour s’affranchir de cette contrainte. À l’image de Triscos, ce hameau de Balizac dans lequel Joël Dugachard réside depuis des lustres. Du haut de ses 64 ans, l’ancien pompier professionnel pourtant ne se considère pas encore comme une victime de la fracture ruralo-numérique. « Si ma vie est raisonnablement connectée, j’aime bien avoir du papier devant moi, et certainement pas signer des chèques sur Internet. Cette fois, pour régler une amende de stationnement, je vais devoir faire 5 kilomètres en voiture. Pour moi ça ira, mais ça risque de compliquer l’existence des nombreuses personnes âgées du quartier. »

À quelques encablures de Balizac, le maire de Loupiac lui non plus n’aura pas vu le coup venir. « Rue de l’Église et au lieu-dit Plapa, deux boîtes hors-service. La Poste m’a répondu qu’il s’agissait juste d’un souci technique. Mais je connais leur politique en la matière, sans doute est-ce une tactique sournoise pour me préparer psychologiquement. » Ailleurs, notamment en Saône-et-Loire, d’autres élus s’imaginent avoir trouvé la parade en interdisant la chose par de superfétatoires arrêtés municipaux. Preuve que les 121 000 BAL du pays sont encore loin d’être condamnées à la ferraille, chez les brocanteurs comme sur les sites en ligne, n’espérez pas en dénicher une à moins d’un demi-millier d’euros.