« C’est la onzième année que je viens au marché sur l’eau du Vanneau-Irleau et j’adore l’ambiance du Marais poitevin. Il a fallu se lever à 6 heures ce matin, mais c’est l’un de nos plus gros marchés de l’année ! » En 2013, Jean-François Ferru a repris une pâtisserie située à une petite heure de route du village des Deux-Sèvres, près de Niort. Habillé de jaune et de noir, le quinquagénaire installé en bout de barque arbore les couleurs de la spécialité locale qu’il affectionne, le tourteau fromager, mais pourrait tout aussi bien passer pour un supporteur du Stade Rochelais rugby. « Il y en a pas mal dans le secteur ! » s’amuse Pierre, alias Pierrot pour les copains qu’il croise, ce samedi 26 juillet, jour de la 26e édition du rendez-vous maraîchin de l’été.
À 45 ans, l’homme compte parmi les 63 bénévoles recrutés localement par le comité des fêtes pour porter un événement annuel insolite, où l’on peut glisser d’un étal à l’autre assis dans une barque, en se laissant conduire par un batelier. De quoi attirer la foule des curieux et touristes en séjours.
Mogettes, brioches…
Combien de personnes ont descendu la rue du Port, l’artère du village d’environ 900 habitants à l’année menant directement au marais, puis à la Sèvre Niortaise, la baie de l’Aiguillon et enfin à l’océan Atlantique ? « C’est difficile à dire, concèdent Jo et Véro, les deux coprésidentes, mais il y aurait eu jusqu’à 5 000 personnes l’an dernier et on a prévu environ 1 000 repas ce midi. » Le fait est que, sur le coup de 10 h 30, la file d’attente s’allonge sacrément à l’embarcadère et les affaires s’accélèrent au comptoir des 57 exposants du matin.

Romuald Augé/SO
Miel de pays, brioche traditionnelle, fromage de chèvre, artisanat d’art, mogettes (haricots blancs secs), ail, bœuf de la ferme d’Auzille dont Tilia, 11 ans « et demi », fait la promotion en récitant un petit texte depuis sa barque… « On fait en sorte que l’offre soit diversifiée, relève Jo, tout en restant le plus possible sur des produits du Marais ! » La plupart des étals occupent les quais, sur un fond de paysage arboré encore bien vert.
Céline, elle, est sur l’eau. Sa barque présente les productions tirées des plantes aromatiques et médicinales du Chaudron fleuri à Lagord, près de La Rochelle et des Semeuses de lumière de Saint-Georges-de-Rex, à quelques longueurs de pigouille, la perche servant à pousser les bateaux à travers les canaux de la « Venise verte ».
La reine-des-prés (Filipendula ulmaria), l’angélique (Angelica archangelica), le sureau issu de cueillettes locales sont proposés en petits flacons que vient bercer un léger clapot. « J’aime bien ici. Il y a du monde, mais c’est calme. Ça doit être un effet de l’eau… » Une eau du marais trouble, où les lentilles vertes de la carte postale et les nénuphars ont largement disparu. Pareil pour les anguilles, les grenouilles, les écrevisses autochtones qui peinent à résister aux cousines de Floride.

Romuald Augé/SO
Climat et guerre de l’eau
Les espèces animales et végétales invasives n’épargnent pas ce coin reculé de vie pas toujours paisible. Pas plus que le changement climatique ou l’agriculture conventionnelle. Les eaux de surfaces et souterraines du Marais poitevin, classé parc naturel régional, sont majoritairement dégradées aux nitrates et pesticides, comme ailleurs. La question de son partage, entre agriculteurs irrigants et les autres usagers, génère régulièrement de fortes tensions et affrontements dont l’épisode de Sainte-Soline, en mars 2023, a constitué le point culminant.
« Les gens d’ici sont un peu réservés, au début, mais s’ils vous font confiance, ils vous adoptent »
Une ressource naturelle qui déserte déjà une partie des 107 000 hectares de zone humide qui coule jusqu’en Charente-Maritime. Face à la sécheresse, le préfet a ainsi dû prendre un premier arrêté limitant les prélèvements pour l’usage agricole (irrigation) et domestique (piscines, nettoyage voiture…) dès le 23 mai !
L’environnement du village change. Placée entre La Rochelle et Niort, la région attire en outre de nouveaux venus en quête de foncier bon marché. Mais dans le port du Vanneau, « il y a toujours de l’eau », se réjouit Pierre, le batelier d’un jour, qui continue de prendre sa barque, élément fort de l’identité locale, pour aller à la pêche, à la chasse et « promener les amis de passage ».

Romuald Augé/SO
Arrivé voilà quinze ans, il a découvert des relations sociales solides – « les gens d’ici sont un peu réservés, au début, mais s’ils vous font confiance, ils vous adoptent ». Un art de vivre dont le marché sur l’eau peut donner une image folklorique, joyeusement surannée, mais que la population cherche à faire perdurer vaille que vaille. Pour une vie de village de qualité et pour le plus grand plaisir des visiteurs.