Rumeurs de départ du Garorock pour Bordeaux : «Si le festival part de Marmande, il perdra une partie de son identité»
Entre baisses de subventions, hausse des coûts et déficit structurel, les repreneurs de Garorock pourrait choisir de le déplacer dans le stade Matmut Atlantique. Inimaginable pour les festivaliers ainsi que pour les commerçants et élus de la ville qui accueille la manifestation depuis 1997.
Alors que les dernières lumières s’éteignent sur les scènes de Garorock, dimanche 6 juillet, un petit groupe de festivaliers s’embrasse une dernière fois avant de plier bagage. Pendant quatre jours, aux côtés de 120 000 autres spectateurs – dont 78 000 campeurs –, la bande de copains a vibré au rythme des concerts organisés dans la plaine de la Filhole, entre la Garonne et les anciens remparts de la ville de Marmande. «C’est une tradition. Ça fait déjà six années qu’on vient au Garo, on adore l’ambiance. Mais pour la première fois, on a hésité à se donner rendez-vous l’année prochaine. On ne veut pas croire que le festival pourrait quitter le Lot-et-Garonne», s’émeut Mélissa, 36 ans, originaire d’un village voisin.
L’info est tombée comme un couperet le 14 juin dans les colonnes de Sud Ouest : «La dernière édition à Marmande avant de déménager à Bordeaux en 2026 ?» interroge le quotidien qui évoque la piste d’un stade, le Matmut Atlantique et ses 53 000 places, pour accueillir l’événement. Il n’en fallait pas moins pour agiter le microcosme local profondément attaché à l’expérience marmandaise démarrée en 1997. «On a souvent entendu des rumeurs ces trois ou quatre dernières années, mais cette fois, on a l’impression qu’ils pourraient vraiment nous l’enlever», redoute Marie (1), commerçante de la ville.
«Pas là pour faire du bénévolat»
«Ils» ? Ce sont les Allemands de CTS Eventim, le groupe organisateur qui a racheté le festival en plein air à Vivendi l’an dernier. Confrontés à un déficit structurel du Garorock, dépassant le million d’euros, ils ont commencé à étudier des alternatives plus viables économiquement. Parmi les points de friction : l’électrification du lieu, qui permettrait de «verdir» le festival en limitant le recours aux groupes électrogènes, l’extension éventuelle du réseau d’assainissement collectif et la logistique complexe d’un site classé Natura 2000, où tout doit être apporté (eau et électricité) à chaque nouvelle édition. «On a bien compris qu’ils perdaient de l’argent, qu’ils ne sont pas là pour faire du bénévolat, reconnaît le premier adjoint au maire de Marmande, Charles Cillières. Ils arrivent aussi après une période où Vivendi n’a pas investi. Nous, on dépense plusieurs centaines de milliers d’euros par an, entre les subventions et la valorisation du site tout au long de l’année.»
Voilà de nombreuses années que ces problématiques se posent pour les collectivités marmandaises, tiraillées entre la recherche de rentabilité des organisateurs du festival, l’un des plus grands de l’Hexagone, et le coût conséquent pour les finances locales. Le président de l’agglomération Val-de-Garonne, Jacques Bilirit, évoque une «équation économique à résoudre». Plus globalement, entre la baisse des subventions et la hausse des coûts, les festivals sont nombreux à être à la peine financièrement. Contraints de chercher de nouvelles rentrées d’argent, certains n’hésitent plus à faire évoluer leur programmation artistique, quitte à renier leur ADN d’origine.
«Un festival en plein air dans un stade, c’est lunaire»
«J’ai eu la présidente de Bordeaux métropole, Christine Bost, au téléphone, confirme le maire de Marmande, Joël Hocquelet. Je la connais un peu, elle n’a pas l’esprit de la métropole dépouille le reste. Elle a été contactée, pas l’inverse. Après, elle a un stade à gérer sur les bras…» Le grand stade, construit en 2015, était initialement destiné à accueillir les Girondins de Bordeaux. Avec la descente aux enfers du club de football, la métropole – qui n’a pas répondu à nos sollicitations, tout comme les organisateurs du festival – a récupéré la gestion de l’infrastructure au printemps. Elle a désormais la tâche de lui trouver des activités, et surtout un modèle économique pérenne.
«Marmande sans le Garo, c’est impensable. C’est lui qui a permis aux gens de mettre notre ville sur une carte», s’agace Floriane, une festivalière d’une vingtaine d’années qui prévient d’ores et déjà qu’elle arrêtera de venir si l’événement s’expatrie. «Un festival en plein air dans un stade, c’est lunaire ! Je ne vois même pas comment ça serait possible logistiquement. Sans le camping, sans les scènes multiples, en zone urbaine… Si le Garo part à Bordeaux, il perdra une partie de son identité», abonde un ancien bénévole et fidèle festivalier.
«Rien n’est acté, ni signé»
En filigrane, se pose la question de la vampirisation des zones rurales par les grandes métropoles, qu’elle soit volontaire ou non. A Marmande, depuis 29 éditions, c’est tout un écosystème qui s’est construit autour de Garorock entre les hôtels, les chambres d’hôte et les Airbnb qui affichent complet, un petit groupe de commerçants qui tourne à plein régime, les professionnels sollicités pour la location de matériel… Sans compter la fierté et «l’image dynamique du territoire» renvoyée par le festival. Le voir partir à Bordeaux constituerait une forme «d’injustice» pour les interlocuteurs interrogés. Beaucoup gardent également en tête l’exemple d’un autre festival réputé dans le Sud-Ouest, le SunSka : après avoir migré du Médoc vers la banlieue bordelaise pour bénéficier de meilleures infrastructures, il a été contraint de revenir car la greffe n’a pas pris.
«La vérité, c’est que pour l’instant, on ne sait pas. Rien n’est acté, ni signé. Trouver une alternative, ça ne veut pas forcément dire déménager. Ils pourraient imaginer un déploiement avec une soirée supplémentaire à Bordeaux par exemple, pour élargir le public», tempère Charles Cillières. Les élus locaux, qui ont eu l’occasion de discuter avec les Allemands pendant le festival, assurent qu’un rendez-vous est programmé en septembre pour «tout mettre sur la table et étudier les options».
«Tous les scénarios sont possibles, sauf un, c’est qu’il n’y ait rien à Marmande en 2026», veut croire le premier adjoint. Pointant le manque de temps pour tout déménager en moins d’une année, Charles Cillières assure aussi que, si CTS Eventim venait à prendre cette décision malgré tout, ils «se retrousseront les manches. On a déjà les contacts, le lieu, le savoir-faire, les équipes, les bénévoles… Et 29 ans d’expérience». Joël Hocquelet abonde : «Une marque peut être apposée partout, ça reste du privé. Mais l’esprit du Garo, c’est ici. Personne ne pourra nous l’enlever.»