Les expositions sur l’Asie centrale qui ont séduit l’Europe

Juil 9, 2025 | Paris

Trois expositions récentes à Paris et à Londres ont mis à l’honneur l’Asie centrale, révélant une stratégie culturelle ancrée dans un récit national, et soulignant les liens diplomatiques avec la région centrasiatique.

De la riche exposition « Splendeurs des Oasis d’Ouzbékistan » au musée du Louvre (2022), à celle consacrée aux « Trésors de la Grande Steppe » kazakhe au musée Guimet (2025), jusqu’à « Silk Roads » au British Museum (2024), ce triptyque met en scène le rayonnement de l’Asie centrale, depuis toujours au carrefour des civilisations.

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Parmi les chefs-d’œuvre présents au sein de ces expositions, les vestiges de la Fresque des ambassadeurs  (VIIème-VIIIème siècles) se détachent. Véritable « Mona Lisa » centrasiatique, elle représente une procession de personnages issus de diverses ethnies défilant devant le roi de Sogdiane récemment libéré du joug arabe et turc. Cette œuvre issue du palais d’Afrasiab, l’actuelle Samarcande, capture parfaitement par sa qualité artistique et son sujet l’idée d’une Asie « centrale » sur la scène internationale.

Trois expositions, trois narrations et la mise en valeur d’un âge d’or… oui, mais lequel ? À travers des prêts exceptionnels, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan content leur longue et riche histoire avant la période soviétique.

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Dans ces expositions, l’Empire mongol (1206-1368), important épisode pour la région, reste pourtant discret. Seulement quelques artefacts comme le célèbre Livre des Merveilles de la Bibliothèque nationale de France rappellent leur contribution artistique. Les objets exposés mettent avant tout en lumière des royaumes « locaux » tels que les Sogdiens ou les Qarakhanides (840 – 1212), reflets d’une stratégie mémorielle assumée.

Comment expliquer ce choix ? D’abord, l’idée de violence et de barbarie associée à l’Empire mongol peine à s’atténuer dans l’esprit collectif. Une image d’Épinal qui va à l’encontre du récit de paix et d’échanges prôné par les puissances centrasiatiques au travers de ces expositions.

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De plus, l’Empire mongol est également bâti sur une vague d’invasions venues de Mongolie. Ce chapitre historique occupe une place considérable en Mongolie, où Gengis Khan (1162-1227) est érigé au rang de héros national, quitte à faire de l’ombre à d’autres périodes. L’Ouzbékistan choisit alor de concentrer son récit national sur les Timourides (1370-1517) comme dynastie fondatrice de la nation ouzbèke, à travers la figure glorifiée du conquérent Tamerlan (Amir Temur en ouzbek). Les Mongols n’ont donc que peu de place dans ces expositions mettant au centre l’identité nationale.

Au musée Guimet, l’exposition s’articule autour de cinq chefs-d’œuvre, cinq jalons fondateurs pour le Kazakhstan. Le premier étant la période de domestication du cheval au IVème millénaire avant notre ère représentée par une expressive statuette de grès. L’arrivée de l’islam est également évoqué, puis finalement le khanat kazakh (1465-1847) symbolisé par un chapan ou manteau de soie et d’or. Le visiteur est plongé dans des paysages majestueux projetés sur les murs de la salle qui accompagnent les trésors présentés. L’objectif de cette exposition est ici encore de retracer le récit national du Kazakhstan, tout en soulignant ses atouts matériels.

Ces expositions s’accompagnent d’actes diplomatiques et de partenariats renforçant la collaboration sur le plan culturel entre Europe et Asie Centrale.

Comme l’explique Yannick Linz pour l’Astana Times, l’exposition « Kazakhstan, Trésors de la Grande Steppe » organisée en partenariat avec le musée national kazakh fait suite à la visite d’Emmanuel Macron au Kazakhstan en 2023. Les accords signés en novembre 2024 entre Aïda Balaïeva, ministre kazakhe de la Culture et de l’Information, et son homologue française Rachida Dati ont encouragé la coopération dans le domaine culturel et muséal entre les deux pays.

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La Fondation pour le Développement de la Culture et de l’Art Ouzbek (ACDF) a également soutenu l’exposition « Silk Roads » au British Museum, ainsi que celle consacrée à l’Ouzbékistan au musée du Louvre auparavant. Leur mission est clairement explicitée sur leur site internet : créer un dialogue interculturel créatif, intégrer l’art ouzbek dans l’art et l’espace culturel mondial.

Un pari réussi compte tenu de l’engouement européen autour de ces expositions avec, selon le média Daryo, plus de 260 000 visiteurs pour « Splendeurs des Oasis d’Ouzbékistan ».

Depuis quelques années, ce sont principalement les anciennes routes de la Soie en Asie centrale concentrent les regards. Alors que la Chine développe plusieurs projets liés à l’initiative des Nouvelles routes de la Soie lancée en 2013, les récentes expositions s’attachent à rendre à l’Asie centrale ses lettres de noblesse. Le British Museum a d’ailleurs fait le choix stratégique de Peter Frankopan, professeur émérite et auteur du bestseller Les Routes de la Soie sorti en 2015, pour le discours d’ouverture de son exposition. 

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L’histoire des routes de la Soie narrée dans les expositions du Louvre et du British Museum tisse le récit d’une coopération intercivilisationelle et pacifique entre Afrique, Europe et Asie, matérialisée par des productions artistiques de renom. Une image lissée qui éclipse cependant les divers conflits qui ont pu traverser la région, et laisse au spectateur l’impression d’une histoire unifiée.

Du point de vue des musées européens, l’objectif est de confronter le public occidental à une région et des chefs-d’œuvre encore méconnus. Le musée du Louvre se donne par exemple pour mission de mettre en lumière un espace d’échanges ayant permis « aux civilisations occidentales et orientales de dialoguer harmonieusement ».

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À travers ce récit pacifiste, l’Europe et la région centrasiatique formulent le souhait d’une collaboration harmonieuse au passé comme au présent. En faisant la part belle à l’Asie centrale, les musées européens reconnaissent également sa contribution essentielle jusqu’à aujourd’hui, allant au delà du concept d’Etats victimes du “Grand Jeu” des puissances. Les pays sont ici appréciés pour leurs richesses artistiques et historiques nationales.

En cela, ces expositions témoignent d’un tournant. Dans chaque regard de spectateur curieux, à Paris comme à Londres, l’histoire de l’Asie centrale prend vie. À l’image du roi sogdien trônant sur la fresque des ambassadeurs , les puissances centrasiatiques affirment davantage leur rôle sur la scène internationale aux côtés de l’Europe et de la Chine.

Lisa Ducher 
Rédactrice pour Novastan

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