Il a bercé l’enfance de nos enfants avec « Kirikou et la sorcière » et « Azur et Asmar », chefs d’œuvre de l’animation des années 2000, autant que notre vie de parents. Depuis vendredi, Michel Ocelot, 82 ans, chapeau de paille et chemise wax, arpente la ville et s’arrête volontiers quand un fan l’apostrophe. « Cela m’émeut quand certains me disent qu’ils ont grandi avec mes films », dit-il. Du 27 juin au 5 juillet, le Festival du film de La Rochelle lui rend un magnifique hommage en présentant ses sept films. Rencontre, ce dimanche matin dans le hall de son hôtel du Vieux Port, avec un cinéaste culte qui a ouvert la voie à une générations d’auteurs, après une visite au Musée du Nouveau Monde et avant de retrouver son public au Dragon.
Il parait que vous allez vous atteler à partir de cet été à écrire vos souvenirs d’enfance passée à Conakry, en Guinée, dans les années 1950. Qu’avez-vous envie de raconter ?
J’ai envie de raconter la vie d’un petit blanc à la fin des colonies. Mes parents étaient enseignants, ils avaient envie de voyager et ils ont choisi Conakry, en Guinée. Je n’ai que des bons souvenirs de l’école de la République qui faisait bien son travail. Je veux raconter cette période de l’enfance absolue, très belle, où je fus très bien accueilli. J’ai vécu tout cela dans une ambiance de beauté et de bienveillance. Il n’y avait aucun problème. Mes parents étaient là où ils voulaient, on se sentait vaguement français, on n’a jamais été des étrangers. C’est ma vision d’une histoire minuscule. Mais je veux que les gens la connaissent. Il y aura aussi les témoignages de ma sœur et mon frère et des photos de mon père.
Vous recevez un César en 1983 pour votre court-métrage « La légende du pauvre bossu » mais ce n’est qu’en 1998 avec « Kirikou et la sorcière » que vous accédez au succès.
J’ai commencé au moment où l’animation dans le monde débutait. Disney faisait ce qu’il fallait pour qu’il n’y ait que lui, et pratiquait la politique de la terre brûlée. Comme tout le monde j’adorais Disney, mais cela s’est arrêté pour moi à la « Belle au Bois dormant ». Disney est passé de producteur à grand capitaine d’industrie. Mais il y avait des cinglés qui faisaient aussi des courts-métrages et je sentais que ces films bricolés, c’était ma nation. J’avais le goût du dessin, du petit bricolage et je voulais enchanter les gens. Un jour un producteur m’a dit : « Arrête de perdre ton temps pour la télévision, écris un long métrage ». Kirikou était déjà presque prêt. Mais aucun distributeur ne voulait le distribuer, jusqu’au jour où l’un d’entre eux m’a dit : « je n’ai pas d’argent, il n’y aura pas de publicité mais on va compter sur le bouche-à-oreille ». C’était très audacieux, il fallait y croire ! Petit à petit, on a vu les salles se remplir et la queue sur les trottoirs. Le public a osé aller voir quelque chose d’autre. Comme ici au festival.
Et vous insistez même pour sortir « Kirikou » en même temps que « Mulan » de Disney !
Bien sûr, je ne voulais pas être considéré comme un sous-produit. Je suis un artiste, j’ai des choses à montrer ! On s’est dépêché de finir le film et on est sorti en même temps que « Mulan ».
« Quand il n’y a pas de moyens, il faut beaucoup de ressources créatives et de volonté »
Pour « Princes et princesses », film d’animation en papier découpé conçu avant « Kirikou », vous dites avoir choisi les ombres parce que vous n’aviez pas d’argent. L’économie de moyens stimule-t-elle la création ?
Bien sûr, je n’ai choisi la silhouette que parce que je n’avais pas l’argent ! Quand il n’y a pas de moyens, il faut beaucoup de ressources créatives et de volonté. Il est certain que le manque d’argent m’a fait découvrir la technique oubliée des silhouettes qui me plaît toujours beaucoup. Mais c’est bien quand il y a aussi de l’argent parce qu’il y a plein de choses qui arrivent. Pour « Azur et Asmar », j’ai eu le droit de faire du luxe, de ne pas chercher à faire des économies jusqu’à la fin du film, rajouter des bijoux et des broderies ou avoir six personnes pour les décors.

Nord-Ouest Production
Les artistes peuvent-ils survivre à l’intelligence artificielle ?
Ma première réaction, c’est d’être inquiet. À quoi ça va servir d’être un être humain ? Mais en tant qu’auteur, inventeur d’histoires, je me dis qu’il n’y a rien de grave parce qu’on a vécu une vie que la machine n’a pas. Moi, je ne me sens pas menacé mais certains de mes amis traducteurs n’ont plus de travail. Mais je serais bien désolé de ne plus travailler avec des êtres humains comme je l’ai toujours fait sur mes films.
Qu’est-ce qui vous émerveille aujourd’hui ?
Le numérique m’émerveille ! Les palettes graphiques, Internet, les courriels… On peut communiquer très facilement, à plusieurs, dans la seconde, et avec l’autre bout du monde. On a toutes les informations à portée de main. J’ai commencé à une époque où il n’y avait que des bibliothèques. Aujourd’hui, on n’a plus le droit de ne pas savoir ou de ne pas faire du bon travail.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune aujourd’hui qui se lance dans une carrière artistique parce qu’il croit au pouvoir de l’art ?
La vie d’artiste passe par des temps de vaches maigres, c’est un gagne-pain qui a ses hauts et ses bas. On n’est assuré de rien mais c’est un état d’esprit. Moi j’ai toujours été sincère, honnête, un peu innocent, et parfois ça a marché. Je suis un auteur autonome, je fais ce que je veux. Petit, je n’ai pas appris à tricher ni à voler les gens. Et c’est encore comme ça aujourd’hui.
Billetterie en ligne ou sur place à La Coursive de 9 heures à 22 h 30 et au Dragon à partir de 8 h 30 et 45 minutes avant chaque séance. Un point info est situé place Barentin (en face de la Grosse Horloge) qui est le point unique de distribution des contre-marques pour l’accès au Dragon. Le Préau : cantine et espace de repos installé à l’école Dor, 24 rue Saint-Jean-du-Pérot, réservé aux festivaliers de 14 h 30 à 19 heures. Programmation complète sur : festival-larochelle.org.