Place forte historique du Labourd, la très vaste commune de Saint-Pée-sur-Nivelle, dont les sept quartiers s’étendent de Saint-Jean-de-Luz à l’Espagne et de Sare à Ainhoa, a joué et continue de jouer un rôle important à l’échelle du bassin de la Nivelle. Son histoire – trop souvent cantonnée à la chasse aux sorcières menée depuis son château en 1609 par le juge bordelais Pierre de Lancre – est en réalité celle d’une place diplomatique forte, écartelée entre un roi de France en reconquête de l’Aquitaine, un roi d’Angleterre qui la gérait et le roi de Navarre qui la convoitait.
Cette ancienne terre de seigneurs, autrefois presque entièrement couverte de forêt, éloignée de tout grand axe de circulation terrestre, conserve en son sein les ruines de cette construction militaire, l’un des derniers témoignages du XVe siècle en Labourd. Édifié par la famille de Amezqueta, qui participera sous la bannière anglaise à la bataille d’Azincourt et à la conquête de la Normandie, il est de l’avis de tous à la source du développement de ce territoire rétro littoral.

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Preuve que cette histoire et le rayonnement culturel de Saint-Pée intéressent, les deux associations dédiées à l’entretien de la mémoire (Culture et patrimoine Senpere et Lapurdi 1609) fédèrent un total de près de 1 000 adhérents. Au-delà du château et de l’église, cette histoire faste se raconte en suivant les grands chemins de randonnée, en explorant les chapelles de la route de Compostelle, en observant les redoutes ou en enjambant les rivières, au fil des ponts et des moulins…
« Le début de la fin »
Avant l’épisode du juge de Lancre et ses procès en sorcellerie, gravé pour la postérité dans la pierre d’un monument mémoriel au cœur du bourg, les seigneurs de Saint-Pée-d’Ibarren (le nom originel de la paroisse) marquèrent notamment l’histoire de la guerre de Cent Ans. Une guerre conclue par la prise de Bayonne et l’incendie du château, en 1451. L’entrée de Saint-Pée dans le royaume de France. « Le début de la fin », ponctuent certains historiens.

Archives Jean-Daniel Chopin/ « SO »
L’influence des seigneurs de Saint-Pée et du Labourd s’illustrait également localement. Et il fallait parfois la calmer. Comme lorsqu’en août 1343, le Bayonnais Pès de Puyanne solda une opposition autour de la gestion des droits de pêche et des péages sur les cours d’eau par une exécution des seigneurs labourdins sur le pont de Proudines, à Villefranque. L’arrestation avait eu lieu dans le château de Saint-Pée. « Il les avait fait attacher à des pieux et il avait attendu que la marée monte », raconte-t-on dans le local de Culture et patrimoine Senpere.
Le Bayonnais Pès de Puyanne les avait fait attacher à des pieux et il avait attendu que la marée monte
Commune girondine, royaliste et donc plutôt favorable à la Révolution, Saint-Pée-sur-Nivelle a pour autre particularité d’avoir vu son pouvoir local maintenu en 1789, en accord avec le clergé. Trois ans plus tard, le château sera une nouvelle fois pillé, saccagé et brûlé par un détachement espagnol venu par le col d’Ibardin…
La suite de l’histoire s’écrit en novembre 1813, date de la bataille napoléonienne de la Nivelle, entre l’armée française du maréchal Soult et l’armée anglaise du marquis de Wellington. « Une grande défaite impériale qui a marqué l’histoire de la France mais qui reste souvent passée sous silence », notait-on lors de la grande célébration du bicentenaire, avec reconstitution des affrontements qui opposèrent près de 150 000 hommes de part et d’autre du pont roman d’Amotz.
Bois, tourisme et chistera
Plus bourgeoise qu’agricole, bien qu’il y demeure quelques jolies fermes et exploitations, l’ancienne seigneurie doit sa prospérité au commerce. Plus particulièrement à l’exploitation du bois de sa forêt, qui couvrait à l’époque deux tiers de la commune, soit près de 4 000 hectares. La commune et ses habitants ont ensuite tiré profit du formidable essor du tourisme. Un coup de fouet spectaculaire dès l’avènement des congés payés, dans les années 1930, avec l’arrivée des premiers « estivants ». Puis avec l’aménagement du lac, au milieu des années 1960.

archives Jean-Daniel Chopin/SO

Émilie Drouinaud/Sud Ouest
Cet élan dopé par la proximité des grandes stations du littoral a permis à Saint-Pée-sur-Nivelle de compter jusqu’à dix-huit hôtels ! La dynamique, un peu ralentie depuis les années 1990, se poursuit aujourd’hui avec d’autres contraintes, en faisant face à d’autres défis. Celui du maintien d’un dynamisme économique et d’une attractivité touristique se conjugue avec l’impératif de loger ses habitants et de leur offrir un niveau de service à la hauteur de ce qu’est devenue la commune, désormais onzième du Pays basque en termes de population.
La donne est pimentée par une situation financière très dégradée et par un très haut risque d’inondations. La crue décennale tragique de 1983 et dans une moindre mesure celle de 2007 sont venus le rappeler aux héritiers des seigneurs de Saint-Pée, à la merci des eaux de la Nivelle et de ses affluents.
Des héritiers qui revendiquent par ailleurs, sur le champ historique, l’invention de la chistera, en 1857, dans l’intimité de la ferme Donamartia, dans le quartier nourricier d’Amotz. Une autre histoire, dont nous reparlerons dans le cadre de cette série, à suivre jusqu’au samedi 28 juin.