« Oui, le réchauffement climatique est une mauvaise nouvelle pour les vins rouges. Les jeunes générations, celles que nous devons conquérir, aiment les boissons froides. » Véronique Hombroekx, directrice des vins de marque chez le négociant Baron Philippe de Rothschild (Pauillac), n’a pas la réputation de tourner autour du pot dès qu’il s’agit d’affronter un problème. Et la crise que traverse le Bordelais, où le rouge pèse pour 80 % de la production, est considérable (lire par ailleurs).
Ce poids lourd a choisi de lancer un Mouton Cadet rouge – la marque phare du groupe – à boire frais (8 à 10°) pendant Bordeaux fête le vin. Une manifestation qui se tient jusqu’au dimanche 22 juin sur les quais de Garonne. Avec cette 14e édition écrasée de soleil, le moment ne pouvait être mieux choisi.
Glaçons dans le verre
Sur le pavillon de la marque, rosés, blancs et rouges sont plongés dans une même vasque remplie de glace. Et la responsable détaille sa stratégie : « On doit se poser les bonnes questions. Je vois les jeunes aller vers la bière et les cocktails, et dire non aux rouges taniques et chauds dans la bouche. Je leur dis : ‘‘Permettez-moi de vous présenter un bordeaux différent.’’ » Dans le verre, servi avec des glaçons, le vin est agréable, fruité et légèrement corsé. Il glisse sous le palais. On se rapproche de l’univers séduisant des cocktails. On est loin de la consommation traditionnelle des rouges. La priorité est ici de se désaltérer.
Un rouge agréable, fruité et légèrement corsé, on se rapproche du cocktail
Jérôme Aguirre est le technicien qui fait ce vin : un AOC bordeaux 2024 bio, 100 % merlot et titrant 12,5 ° (1). « Les terroirs sont choisis et les vinifications (à basse température) calibrées : plus qu’une extraction, une infusion. » Traduction : dans la cuve, le temps de contact entre les parties solides (peau, pépins) et liquides (jus) est réduit. Le vin, peu teinté, portera moins de charge tanique (même logique que pour un rosé). Évidemment, aucun élevage en barrique, mais une mise en bouteille rapide et une arrivée sur le marché aussi (2). Cette bouteille ne sera bonne que dans sa jeunesse.
À l’apéro et à table
Quel est le bon moment pour l’ouvrir ? Pierre Ogren de Rothschild, arrière-petit-fils de Philippe de Rothschild (1902-1988), créateur de Mouton Cadet en 1930, passe aux explications. Cette cuvée rouge est signée de son nom (3). « En apéro ou autour d’un barbecue. Ma génération veut des rouges décomplexés, sans se prendre la tête », lance celui qui est aujourd’hui ambassadeur de la marque à New York.
Véronique Hombroekx rebondit : « Nous avons arrêté de vendre nos Mouton Cadet classiques pendant un an aux États-Unis car les prix étaient trop tirés vers le bas. Nous allons nous relancer avec cette gamme des trois vins à boire frais. » L’objectif est à 25 000 caisses en 2025 pour ce pays où certains restaurants affichent maintenant un chapitre « vins frais » sur leur carte. En France, le rouge frais est lancé chez les cavistes (12,90 €) et en restauration.
Vin à la tireuse
Une dernière question avant de retourner dans la chaleur de la fête : pourquoi pas un vin désalcoolisé (8 à 9 °), comme on en trouve aujourd’hui ? « Nos essais ne sont pas concluants. Et de plus, la meilleure désalcoolisation n’est-elle pas de mettre des glaçons dans le verre ? » On note alors, dans un coin, la présence d’une tireuse à bière. « Nous menons des essais pour proposer des vins à la tireuse », apprend-on – comme l’a déjà pratiqué le Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux dans des festivals de rock, avec succès. La révolution est bien en marche.
(1) Mouton Cadet est élaboré avec des vins produits chez des vignerons partenaires. (2) Le syndicat des AOC bordeaux réfléchit à une nouvelle AOC – dénommée Claret – qui aurait ces mêmes caractéristiques. (3) Ses cousins Nathan et Mathilde avaient signé le blanc et le rosé de la gamme.
Blanc, rosés, crémants
Les rosés, blancs et crémants, consommés frais, pèsent peu dans notre région où le rouge est majoritaire. En Gironde, le blanc sec est à 10 %, des volumes, chiffre à la hausse. Les vignerons plantent des cépages blancs et font même du blanc de noir (vin blanc avec des raisins rouges). Le Sauternais développe ses blancs secs (comme à Jurançon). Cette couleur pèse pour plus du tiers (liquoreux compris) en Bergeracois. Le Gers, avec des leaders comme Plaimont et Tariquet, en a fait une spécialité (IGP côtes de gascogne). Côté rosé, c’est 4 % des volumes en Bordelais, un chiffre stagnant car cette couleur n’est parfois qu’une variable d’ajustement : si les rendements globaux sont faibles – souvent le cas ces dernières années – le rouge est privilégié. Enfin, le crémant de Bordeaux marche bien mais ne pèse que 4 % des volumes. Loin du crémant de Loire ou d’Alsace.