« Je ne pose pas la question à mon médecin de savoir si je peux boire du vin ! » Annick Martinez, 59 ans, aime garder le sens de l’humour, tout comme déguster un petit verre de temps en temps, malgré la maladie. Sur un fauteuil roulant depuis une douzaine d’années, elle est touchée par une sclérose en plaques, maladie neurodégénérative.
À Bordeaux fête le vin, dont la 14e édition se tient depuis jeudi et jusqu’à dimanche sur les quais, elle est comme l’ambassadrice et la marraine de la grande famille des personnes en situation de handicap (PSH). « Les organisateurs ont voulu en faire un modèle en termes d’accès pour les personnes à mobilité réduite (PMR). J’aimerais que cela serve d’exemple pour les châteaux, au moment où l’œnotourisme se développe », indique celle qui fut pendant une dizaine d’années directrice de l’École du Vin de Bordeaux. Une structure, intégrée au sein du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), et présente sur place pendant ce long week-end viticole festif, inondé de chaleur.
Dominique Laroche en est sa directrice actuelle. « Des formations à la dégustation pour les malvoyants et malentendants sont proposées. Une formatrice maîtrise la langue des signes et un système audio permet d’amplifier le son pour ceux qui en ont besoin », explique-t-elle. « Pour les premiers, il y a des astuces pour les intégrer au groupe lors des visites dans les châteaux », rebondit Annick Martinez.
Label Tourisme & Handicap
Exemples : leur faire toucher des feuilles de vigne pour en ressentir la texture, et humer des douelles de barriques pour comprendre ce qu’elles apporteront au vin. Des choses simples, sachant que si un sens fait défaut, les PSH ont tendance à bien développer les autres. Un kit pour rendre les dégustations et les visites plus accessibles en Bordelais est en préparation (attendu en 2026), avec une carte du vignoble en braille.
Et Frédéric Gabriel devrait y apporter son savoir-faire. Il est « Monsieur handicap » à Gironde Tourisme, structure qui met en musique la politique décidée par le Conseil départemental. Il commence par vous donner deux chiffres étonnants : une personne sur six est handicapée en France (mental, visuel, auditif, moteur, maladies chroniques) et 80 % des handicaps sont invisibles. « Lors d’une visite, ‘‘je veux être en autonomie’’ et ‘‘je ne veux pas être réduit à ma situation de handicapé’’ sont les deux phrases qui résonnent dans la tête des personnes concernées », indique l’expert.
Vidéo de présentation sous-titrée, documentation synthétique et illustrée, maquettes des lieux
Au quotidien, son travail est de participer à la délivrance du label Tourisme & Handicap, mis en place au niveau national depuis une vingtaine d’années. Camping, hôtels, gîtes, châteaux et autres lieux de visite sont concernés. C’est volontaire, gratuit, valable cinq ans et les personnels sont formés. « On regarde tout, du parking jusqu’à la fin de la prestation. » Pour les châteaux, ses conseils sont nombreux : hauteur des tables de dégustation (pas de mange debout) et espace pour y glisser un fauteuil roulant ; vidéo de présentation sous-titrée ; documentation synthétique et illustrée (déficients mentaux) ; maquettes des lieux ; des inscriptions où les mots se détachent bien du fond. « Souvent des choses simples et pas chères. »
Chais accessibles
À ce jour, une quinzaine de propriétés ont décroché ce label : châteaux Champion, Fleur Cardinale, la Croizille, de Villegeorge, Cheval Blanc, cave Uni-Médoc… (1). « Avec le développement des politiques RSE [responsabilité sociétale des entreprises, NDLR], ce label va rencontrer un nouvel écho » veut croire Bénédicte Martre, responsable RSE aux Vignobles de Larose, situés dans le Médoc (255 ha, 4 châteaux). Dès 2019, au lancement de gros travaux de modernisation, faciliter les visites des personnes en situation de handicap était dans le cahier des charges. Le chantier étant fini depuis peu, l’audit pour obtenir le label est en route.

Guillaume Bonnaud/SO
« Concrètement, tout le parcours de visite dans les chais est accessible aux PMR (passerelles, plates-formes, ascenseur). L’ensemble du mobilier de notre magasin de vente (650 m²) a été pensé pour convenir à tous », complète la responsable. Y compris à ceux qui ont un handicap provisoire (jambe cassée…). Dans cette même fibre, elle aime rappeler que sa société collabore depuis longtemps avec un centre d’insertion par le travail : une dizaine d’ouvriers recrutés tous les ans, avec parfois des CDI au bout. « Nous devons accueillir sans a priori et sans préjugés. »
(1) La Cité du Vin a également ce label.