À Rochefort, on ne parle que d’elle, elle est sur toutes les lèvres, on l’attend avec impatience, on l’appelle juste la « maison » parmi le personnel des musées rochefortais. Elle doit ouvrir au public ce 10 juin, à la suite d’un chantier exceptionnel de près de 14 millions d’euros (hors taxes). Après trois phases de grands travaux, les visiteurs vont bientôt pouvoir (re) découvrir la maison de Pierre Loti, site labellisé Musée de France et Maison des illustres.

Musées-municipaux Rochefort 17, cl. Simon David/CARO
Depuis treize ans, cette demeure transformée en musée depuis 1973 a vu ses portes se refermer pour mieux se rénover et se réinventer. « La première alerte date de 2012, quand on a constaté que le plafond en bois de la mosquée était en danger, tout part de là », explique David Bodin, directeur culture de la ville de Rochefort.
Cette salle, sûrement la plus connue de la maison, n’a de mosquée que le nom. Cet espace orientalisant, inspiré des riches demeures de Damas au XVIIIe siècle, avec le fameux plafond en bois richement orné venu directement de Syrie en 1894, est l’un des cœurs de la maison.
« L’ambition de cette restauration, c’est de retrouver l’état de la demeure telle qu’elle était à la mort de Loti, en 1923 », déclare David Bodin. Pour les visites, la scénographie a été pensée dans les moindres détails, n’allez pas imaginer des panneaux de textes ou des petits cartons.
Le soir, certaines fenêtres s’éclaireront de l’intérieur avant de s’éteindre progressivement, une façon poétique de marquer le retour fantomatique de l’écrivain
L’habitation veut offrir l’ambiance d’une maison d’écrivain dans laquelle le visiteur est un invité privilégié qui s’attend à tomber sur Pierre Loti au détour d’un couloir. Même la nuit, l’éclairage extérieur va participer à la réouverture du lieu. Plutôt que d’illuminer les façades, le soir, certaines fenêtres s’éclaireront de l’intérieur avant de s’éteindre progressivement, une façon poétique de marquer le retour fantomatique de l’écrivain.
Nostalgie et extravagances
Avec l’argent de la dot de son épouse et ce que lui rapportent ses livres, Pierre Loti (1850-1923) a passé une grande partie de sa vie à transformer sa maison natale rochefortaise, puis les deux autres demeures mitoyennes achetées successivement en 1895 et 1897.
« Sa maison est une façon de stopper l’inexorable, Loti est hanté par la mort et la fuite du temps, il construit un moyen de retenir ce qu’il a vécu »
Il met cinq ans pour aménager un salon turc, mais, avec les espaces offerts par davantage de surface, il donne libre cours à sa frénésie décoratrice. Il installe une grande salle Renaissance qui s’élève sur deux niveaux, avec une tribune.

Cliché anonyme
Simultanément, et au mépris des règles élémentaires de l’architecture, Loti fait édifier, suspendue au-dessus de cette salle, l’un des chefs-d’œuvre de son palais : la mosquée. « Sa maison est une façon de stopper l’inexorable, Loti est hanté par la mort et la fuite du temps, il construit un moyen de retenir ce qu’il a vécu. »
Il s’agit pour l’écrivain de créer des décors parfaits, un rappel des paysages mentaux des lieux qu’il a chéris. Pas d’Instagram, pas de selfie au début du XXe siècle, les photos et les dessins, dont Loti étaient un grand passionné, ne suffisent pas. Alors il bâtit une demeure à son image, celle d’un homme aux multiples facettes.

archives Sud Ouest
« On a dû faire appel à près de 40 corps de métiers pour la restaurer, des tailleurs de pierre, des décorateurs, des ingénieurs… Il a fallu recréer les fondations d’une maison du XIXe siècle tout en masquant les réseaux et en respectant les normes d’accueil et de sécurité du XXIe siècle », explique le directeur culturel. Un défi humain et technique à la hauteur de l’extravagance du personnage Loti. Celui qui reste l’un des plus jeunes membres élus à l’Académie française, à 41 ans, a vécu plusieurs vies : marin, militaire décoré, écrivain, mondain, pionnier de la photographie, dessinateur…
3000 objets exposés
Sur les 10 000 objets qui constituent la collection complète de la demeure, près de 3 000 vont être exposés, cela va du linge de maison aux armes et aux idoles rapportées par l’écrivain voyageur.
“C’est un décor de théâtre, cette maison, il se crée des ambiances, il se met en scène aussi, il organise des fêtes somptueuses”
« Nous avons aussi aménagé des espaces inédits pour dévoiler ses premières collections, celles liées à son enfance et à sa carrière d’écrivain. C’est un décor de théâtre, cette maison, il se crée des ambiances, il se met en scène aussi, il organise des fêtes somptueuses, mais il y a aussi beaucoup de nostalgie, celle de ses voyages en Turquie et des goûts de l’époque, l’esthétique du Moyen Âge », détaille le directeur culture rochefortais.
Les visiteurs découvriront bientôt de nouveaux espaces, car l’Asie, chère au cœur de Loti, sera remise à l’honneur. La pagode japonaise aménagée en 1886 mais vidée par le fils de Pierre Loti, Samuel, en 1953, sera évoquée par des objets rapportés de la campagne du Tonkin dans un décor rouge et or spectaculaire.
Il restait très peu de cette dernière salle, conçue en 1903 et démantelée en 1929
La partie chinoise de la demeure, projet exceptionnel au sein de cette restauration, est le fruit d’un minutieux travail de recherches. Il restait très peu de cette dernière salle, conçue en 1903 et démantelée en 1929. Son architecture et son mobilier ont été reproduits comme un écrin inspiré par la salle du trône de la Cité interdite, teintée du rouge cinabre impérial et ornée de dragons à cinq griffes et de phénix.
Les extérieurs aussi ont été retravaillés, car le jardin, classé aux Monuments historiques en 1990, est aujourd’hui relativement dénaturé. Les jardiniers vont lui redonner son aspect luxuriant pour les visites. L’accueil, soigné, vise le charme de l’hôtel particulier, un peu mondain.
La maison se visitera par groupes de dix personnes, accompagnées par un guide, au départ du musée Hèbre de Saint-Clément. Au tarif de 16,50 € par personne, la petite troupe mettra une heure et demie pour faire le parcours des 1 000 mètres carrés de pièces, sans compter les extérieurs.
Objectif : 30 000 visiteurs par an
« L’idée, c’est de donner envie aux visiteurs d’en savoir plus sur le personnage qu’était Loti, de faire redécouvrir son œuvre, sa modernité, le pari serait réussi si on déclenche ça chez le public », conclut David Bodin. Avec une fermeture annuelle du lieu en janvier, la direction muséale de Rochefort vise un peu plus de 30 000 visiteurs par an et les réservations pour juin ont déjà dépassé toutes les espérances. Désormais, la maison Loti n’est pas près de refermer ses portes.
Pour réserver sa visite : maisondepierreloti.fr