Le trentenaire, ancien restaurateur, admet tout et demande une deuxième chance. Pas plus tard que lundi, il a déposé ses statuts d’autoentrepreneur pour devenir streamer youtubeur de jeux vidéo, « un métier que tout le monde ne connaît pas mais légal et qui peut rapporter gros ».
À la barre du tribunal de Saintes ce vendredi 30 mai, le prévenu au casier vierge en ferait presque trop dans sa volonté de transparence et de rédemption. Oui, il est bien à l’origine du compte ouvert sur la discrète messagerie Telegram mais à l’intitulé beaucoup plus explicite « Tabac et cartouches Jonzac 17 ». Il y précise que la marchandise provient du Luxembourg et qu’elle est remise « tout autour de Jonzac par main propres (sic) et dans toute la France par Mondial Relay ». Le compte réunissait 400 souscripteurs.
« L’appât du gain »
L’activité avait été repérée courant 2024 par le service Prévention du commerce illicite de la société Philip Morris France, propriétaire de la marque Marlboro. Elle a été mise au jour à l’automne 2024 par la brigade de recherches de gendarmerie de Jonzac, après une dénonciation qui avait valu à l’intéressé une première garde à vue et une première perquisition en octobre. L’enquête s’était poursuivie pour remonter la filière d’approvisionnement qui était luxembourgeoise, mais aussi bordelaise.
La mère faisait office de chauffeur et la sœur de nourrice
Ce vendredi, le Charentais-Maritime, qui avait continué ses activités illicites malgré la première garde à vue, comparaissait aux côtés de celui qui lui livrait les cartons de cigarettes et les pots de tabac à rouler. Le deuxième prévenu est beaucoup moins loquace sur son rôle : simple transporteur ou preneur de commandes ? Il a été interpellé mercredi matin dans le quartier de Caudéran, à Bordeaux, au domicile de sa compagne dont il ne doit pourtant pas s’approcher, à la suite de violences conjugales. Il a 35 ans et dit qu’il était obligé de jouer le convoyeur, sans quoi des personnes s’en prendraient à sa famille, à sa fille.
De son côté, le trentenaire jonzacais explique avoir été pris dans la spirale de « l’appât du gain. ». Au départ, c’était pour éponger les dettes de son restaurant, fermé fin 2021. Difficile ensuite de se passer de cet argent facile. Lors de la première perquisition, il est saisi pour 60 000 euros de matériel high-tech dont une compteuse à billets.
Blanchiment au casino
Les comptes bancaires sont auscultés : 43 000 euros ont été dépensés dans diverses enseignes en dix-huit mois. Le prévenu, devenu aide tonnelier, mène grand train : restaurants, sorties, « viande chez le boucher » et voyage à Las Vegas, « le clou du spectacle », selon Anne Couplan, pour le Ministère public. Près de 30 000 euros auraient été dépensés durant ce séjour de l’été 2024. « Le couple disposait de 78 000 euros en liquide », calcule Anne Couplan, qui révèle que la mère faisait office de chauffeur et la sœur de nourrice. Toutes deux, mais aussi l’ancienne petite amie, comparaîtront en audience de plaider-coupable (CRPC), le 21 janvier 2026.
Le prévenu girondin explique qu’il encaissait « 50 euros par carton. Je suis juste un livreur des Aubiers (un quartier de Bordeaux, NDLR) ». Il jure : « Je voulais arrêter, je ne supporte pas de faire ça. » Un autre client revendeur a été identifié à La Couronne, en Charente. Lui aussi est convoqué ultérieurement devant la justice. L’homme de 35 ans a quelques condamnations dans l’escarcelle, il vit des minima sociaux, peine à s’occuper de sa famille mais a joué de grosses sommes au casino de Bordeaux : plus de 24 000 euros et un gain de 35 000 euros. « On prend juste ce qu’il faut pour passer l’argent à la lessiveuse », comprend le président d’audience Olivier Lalande.
Philip Morris, partie civile
L’administration douanière a estimé le trafic à 1,5 million d’euros pour le Charentais-Maritime, à 585 000 euros pour le Girondin. Deux sommes colossales que les deux prévenus devront payer au titre de l’amende douanière. Le trentenaire de Jonzac écope également d’une peine de dix-huit mois d’emprisonnement dont six mois avec sursis probatoire pendant deux ans. S’ajoutent une amende délictuelle de 10 000 euros et une amende fiscale de 10 000 euros. Le Girondin reste en prison avec une peine de trente-six mois de prison dont vingt-quatre mois de sursis probatoire. Il est condamné aux mêmes amendes que le prévenu de Jonzac.
Les deux hommes devront solidairement s’acquitter du préjudice moral et matériel subi par Philip Morris. Soit 1 000 euros et 2 751 euros.