Comment une commune de 130 habitants du Loiret a-t-elle été choisie pour accueillir le grand raout de l’extrême droite européenne ? Mormant-sur-Vernisson s’apprête en effet à accueillir une flopée d’orateurs, le 9 juin, dans l’un des champs qui dessinent la campagne environnante. Des invitations ont été notamment adressées au Premier ministre hongrois Viktor Orban, au président du parti espagnol Vox Santiago Abascal, au vice-président du Conseil italien Matteo Salvini ou encore au Néerlandais Geert Wilders, connu pour ses déclarations antimusulmans. A cette occasion, les organisateurs espèrent accueillir 5 000 personnes sur un terrain privé.
Baptisé « Fête de la victoire », l’événement célèbre, un an après, une « vague patriote » lors des élections européennes de 2024, annonce le groupe du Parlement européen Les Patriotes, qui rassemble des élus de 17 formations au sein de l’Union européenne (UE), dont le Rassemblement national (RN) français. « Le parti européen cherchait un lieu pas trop loin de Paris pour un événement champêtre. J’ai fait le tour des contacts pour trouver un site », explique le député RN, Thomas Ménagé. L’an passé, l’élu avait décroché haut la main sa réélection dans la 4e circonscription du Loiret. Lors du second tour, il avait obtenu son meilleur score (89,86%) à Mormant-sur-Vernisson. « Les événements en ruralité sont rares, ajoute le parlementaire. C’est plus difficile à organiser, mais on sait aussi qu’on fait de très bons scores dans ces territoires. »
« C’est aussi notre marque de fabrique de montrer que la France n’est pas seulement à Paris ou dans les métropoles, mais aussi dans les petits villages. »
à franceinfo
Il n’a pas eu de mal à convaincre l’ancien maire, Christian Charpentier, de prêter un terrain. « Le député avait déjà rendu service à plusieurs exploitants, qui avaient des problèmes avec le versement [des aides agricoles européennes] de la PAC pour des normes environnementales », explique cet ancien agriculteur à la retraite. Le député était même intervenu auprès du ministère de l’Agriculture, afin de résoudre le blocage réglementaire. « J’ai mis à disposition un hectare et demi, sur une parcelle en herbe, rarement mise en culture, car de mauvaise qualité », poursuit Christian Charpentier. Il exprime également une affinité avec les organisateurs : « Les Patriotes, aujourd’hui, sont le seul groupe [d’eurodéputés] opposé à l’entrée de l’Ukraine dans l’UE. »
De quoi troubler la quiétude du petit bourg ? « Ca n’a pas l’air de déranger les gens d’ici », tranche Christian Charpentier. De mémoire de Mormantais, pourtant, jamais la commune n’avait connu un tel événement. L’ancien maire se souvient tout au plus d’une prise d’otages au restaurant le Relais du Miel, « il y a une quarantaine d’années », quand des tireurs d’élite avaient été appelés. En 2011, une rave-party avait rassemblé environ 1 500 participants, en bordure de laD2007. Il avait alors craint pour la sécurité des jeunes, qui repartaient prendre le train « en état d’ébriété ». Cette fois-ci, Christian Charpentier paraît serein. « Les Patriotes, je ne les connais pas tous, ils viennent de toute l’Europe. Mais quand le RN organise, c’est assez ordonné. »
« Il n’y aura pas de rave-party, même si le site peut s’y prêter », sourit Thomas Ménagé, qui exprime une « part de fierté et de satisfaction » avant d’accueillir autant de personnalités européennes. « Je crois qu’il n’y avait jamais eu un chef de gouvernement étranger sur la circonscription, se félicite le député RN. C’est aussi le rôle d’un parlementaire de mettre en avant son territoire et de le faire connaître. »
Il est encore trop tôt pour assister au montage de la scène et à l’installation des bancs, des tables et des stands sur lesquels seront servis de la paella, des pizzas et des spécialités d’Europe de l’Est. Sans oublier du miel du Gâtinais et des terrines locales.
Pour autant, le maire actuel, Vincent Desrumaux, est déjà dans le jus. « Ce qui m’inquiète, c’est de gérer les flux de personnes » dans l’espace public, réagit l’élu sans étiquette, puisque l’événement privé n’est pas de son ressort. « Il y a un peu de surprise par rapport à la quantité de monde attendue », ajoute Vincent Desrumaux, qui n’avait rien demandé.
L’édile dit avoir été informé officiellement par un courrier préfectoral, après avoir eu vent de l’événement par le député. Il a déjà participé à une première réunion en sous-préfecture, à Montargis, pour évoquer la sécurisation des alentours. Le terrain du meeting, pour autant, se trouve à l’écart des habitations, à environ 1,5 km du centre-bourg.
Sollicitée, la préfecture du Loiret se contente de répondre que des échanges sont en cours avec les organisateurs, « comme pour tout rassemblement important de personnes », et qu’un dispositif adapté sera mis en place.
« C’est un événement privé, au milieu des champs et avec un service de sécurité, ce qui sera plus facile à gérer pour nous. »
à franceinfo
Vincent Desrumaux refuse de livrer une analyse politique, alors que l’événement à venir des Patriotes est déjà très commenté sur les réseaux sociaux. « Je me suis demandé comment j’aurais réagi s’il avait été question d’un parti d’extrême centre. Et mes inquiétudes auraient été les mêmes : la gestion de la foule. Je ne rentrerai donc pas dans la polémique sur tel ou tel parti. » Le maire est tout de même conscient de l’importance du vote RN dans sa commune. « Ce n’est pas tombé sur Mormant comme dans un jeu de fléchettes, bien sûr, mais les gens n’ont pas forcément voté pour une couleur politique. Thomas Ménagé, simplement, est très bien identifié. »
« Mormant-sur-Vernisson a toujours voté très à droite. Les petits villages, par ici, sont malheureusement conservateurs », répond Bruno Nottin, conseiller municipal PCF de Montargis et ancien candidat du Nouveau Front populaire aux législatives. « Thomas Ménagé a récupéré un électorat de droite, qui se radicalise. Et il se sert de ce territoire pour nous faire venir tout ce qu’il y a de pire en Europe », dénonce cet opposant. « Pour les gens qui sont nés ici et ont grandi ici, ce rassemblement est une tache. On a l’impression qu’on va parler de nous uniquement comme symbole de l’extrême droite européenne. »
Bruno Nottin dénonce plus largement une ambiance délétère, affirmant avoir déjà reçu des menaces de mort de la part de militants d’extrême droite, et avoir récemment essuyé des insultes dans un café. Une journaliste de Mag’Centre, correspondante dans le Gâtinais, a reçu à son domicile un exemplaire de l’ancien hebdomadaire d’extrême droite Minute, après avoir écrit un article sur le rassemblement des Patriotes.
En guise de protestation, Des personnalités de toute la gauche manifesteront entre la sous-préfecture et la place du Pâtis, à Montargis, où sera monté un « village progressiste ». Les principales forces de gauche ont prévu de participer au rassemblement, de Manon Aubry et Louis Boyard (LFI) à Ian Brossat (PCF) et Sophie Binet (CGT), en passant par des représentants du PS, d’EELV et des principaux syndicats français, affirme Bruno Nottin.
Le maire Les Républicains de Montargis, Benoît Digeon, n’a pas vu d’objection à la tenue de la manifestation dans sa ville, centre des territoires du Gâtinais. A titre personnel, il est passablement agacé par la tenue du meeting dans la petite bourgade voisine. « Le RN m’inspire un profond dégoût, et s’ils arrivent au pouvoir, ils reprendront leurs vieux réflexes, comme avec la journaliste de Mag’Centre. » L’édile a d’ailleurs décroché le téléphone pour faire entendre sa manière de penser à Christian Charpentier. « Je lui ai dit que c’était la honte pour sa commune et pour nous tous. C’est un focus inutile sur Montargis et puis cette Europe si décriée, à la fin, elle protège tout le monde. »