Marché de l’art : Paris « a toujours été, est et restera sans doute la capitale culturelle du monde »

Mai 24, 2025 | Paris

Avec Art Paris, Art Basel Paris et le Salon d’Automne, Paris Gallery Weekend est un des grands rendez-vous du marché de l’art dans la capitale française. Pour sa 12e édition, du 23 au 25 mai 2025, cet événement gratuit permet à quelque 77 galeries et 150 artistes de montrer une diversité d’œuvres au plus grand nombre, dans les quartiers du Marais, Matignon, Saint-Germain-des-Prés et du Nord-Est parisien, de Saint-Ouen, à Romainville en passant par Belleville.

Depuis le Brexit et la sortie de la Russie des circuits internationaux, Paris joue un rôle crucial, en tant que « terre d’accueil d’un nombre croissant de galeries ».

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Entretien avec le commissaire d’exposition et spécialiste du marché de l’art contemporain à Paris, Lorenzo Béatrix, auteur de Paris est une fête, comment Paris réinvente le marché de l’art, paru aux éditions Atlande.

Lorenzo Béatrix, au musée de l'Orangerie lors de l'exposition consacrée à l'artiste américain Robert Ryman, en juillet 2024.
Lorenzo Béatrix, au musée de l’Orangerie lors de l’exposition consacrée à l’artiste américain Robert Ryman, en juillet 2024. – Eloise Groves

Quelles sont les grandes évolutions récentes du marché de l’art ?

Elles sont multiples d’abord, puisque le marché de l’art est aujourd’hui mondialisé. On se retrouve donc avec différents clusters, différentes grandes villes qui concentrent à la fois des artistes, des institutions, des collectionneurs et toutes les ressources pour faire vivre le marché de l’art. Que ce soit l’argent, les espaces dans lesquels on expose les œuvres, le network et les connaissances interpersonnelles, puisque ce sont aussi des choses qui comptent beaucoup au sein du marché de l’art. Ces villes, elles évoluent. Les œuvres auxquelles nous sommes confrontées évoluent. De nouveaux médiums existent, de plus en plus digitaux, qui accompagnent l’évolution de nos vies.

Il y a aussi de plus gros changements, plus spécifiques à certaines villes. Paris est un très bon exemple, avec une nouvelle dynamique depuis la fin du Brexit, dans cette sortie européenne qui redynamise complètement la scène parisienne. Des galeries qui étaient installées à Londres vont ainsi pouvoir se réinstaller à Paris. Les artistes vont aussi revenir avec leur studio en Europe.

D’autres phénomènes ont influé sur le marché de l’art : l’exclusion de la Russie comme acteur du marché de l’art, comme collectionneur et acheteur. Cela s’est vu particulièrement au sein des maisons de ventes, parce que, historiquement, les oligarques russes et les personnes qui concentraient les ressources financières russes étaient des acheteurs dans les maisons de vente aux enchères. En quelques mois, la situation a évidemment changé. Tous ces grands équilibres mondiaux qui sont fragiles influent sur la capacité du marché de l’art, et surtout du marché de l’art à Paris, à pouvoir rebondir et à pouvoir aller chercher de nouveaux collectionneurs, de nouveaux territoires et de nouveaux équilibres.

« De nouveaux studios d’artistes, de nouvelles résidences, de nouveaux territoires de plus en plus dynamiques »

Le monde change et le marché de l’art change avec lui. Et des sujets sont de plus en plus importants pour l’écosystème mondial. La question de l’environnement en fait partie. Nous avons aujourd’hui à Paris cette scène de plus en plus visible. Et elle se matérialise aussi par de nouveaux territoires, avec des scènes de plus en plus présentes. Pantin est un très bon exemple. On y trouve de nouveaux studios d’artistes, de nouvelles résidences, comme Push. Tous ces nouveaux territoires sont de plus en plus dynamiques et viennent renforcer complètement des villes comme Paris. Paris qui autrefois avait une concentration dans certains quartiers de galeries et de maisons de vente et qui aujourd’hui voit cette grande décentralisation.

Nous apprécions un terme pour parler du marché de l’art : la mondialocalisation. À chaque fois que des galeries s’implantent, à chaque fois que de nouveaux lieux ouvrent, on assiste à ce phénomène de mondialocalisation. On prend des spécificités du lieu, quelque chose qui en faisait sa richesse culturelle, son identité quelque part et qui va pouvoir nourrir un projet nouveau et un projet qui évidemment reste un projet mondial. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, les galeries qui s’implantent, elles s’implantent non seulement dans une logique internationale quand elles en ont les moyens, et quand c’est leur ambition, mais elles s’implantent à chaque fois avec une idée assez précise du lieu qu’elles construisent.

La galerie Hauser & Wirth par exemple est une galerie internationale assez réputée, qui maintenant a des galeries éparpillées dans le monde entier. À Paris, ils ont fait le choix d’une avenue très précise, avec un espace très précis. Ils ont décidé de se mettre entre l’avenue Matignon et l’avenue Montaigne, rue François 1er, dans un très grand immeuble qui est sur quatre étages pour concentrer ce que l’on imagine être un appartement parisien décoré avec des œuvres. Vous avez donc évidemment ce que l’on appelle le « white cube space », l’espace de la galerie telle qu’on la connaît, c’est-à-dire des murs très blancs et un espace vide. Mais on a tout de même quand on rentre dans cet immeuble une vraie impression d’être à Paris. On se trouve dans un immeuble haussmannien, avec de très grands espaces, du parquet. Ce sont des éléments qui comptent pour un Parisien qui côtoie le Musée d’Orsay et qui a l’habitude de voir des œuvres dans un certain contexte spatial. Forcément, Hauser & Wirth n’a pas fait la même galerie qu’il aurait fait à New York, avec des espaces beaucoup, beaucoup plus grands, beaucoup plus immenses, beaucoup plus utilitaires. A Paris, on reste dans quelque chose qui est intime, même pour une galerie d’ordre international.

Paris joue-t-elle un rôle crucial dans toutes ces mutations du marché mondial de l’art ?

Paris joue un rôle à plus d’un titre. D’abord parce que Paris a toujours été, est et restera sans doute la capitale culturelle du monde. Et ce n’est pas une petite chose de le dire. Paris joue un rôle prédominant pour son marché qui a concentré un très grand nombre d’œuvres, notamment sur la période impressionniste et puis au début de l’art contemporain, ce qu’on appelle le « post-war » 1945-1950. Tout ce patrimoine-là est encore extrêmement vivant. Il est vivant parce qu’il fait partie de l’œil des collectionneurs et même des jeunes collectionneurs. C’est une source d’inspiration et il est très présent aussi car ce sont des œuvres qui continuent à circuler dans le marché de l’art, en particulier à Paris. Et donc Paris peut étendre son influence dans le monde en vendant des pièces qui sont dans des collections parisiennes et qui font partie de notre écosystème et de notre patrimoine. Cette richesse à la fois visuelle et matérielle existe et elle est encore très présente à Paris.

« Des galeries internationales veulent utiliser Paris comme ressource culturelle pour nourrir la réflexion de leurs artistes et pour nourrir aussi la possibilité d’avoir des échanges européens ou mondiaux avec cette ville-là »

Une dernière chose fait de Paris une scène tout particulièrement intéressante. Paris est en constante mutation et particulièrement ces trois dernières années. Ce qui fait qu’au niveau européen, vous avez de nombreuses galeries. Je pense notamment à la galerie Petrine, qui s’est installée dans le 10e arrondissement il n’y a pas très longtemps. Petrine est une galerie née d’abord en Allemagne et son fondateur m’expliquait que son désir de s’installer à Paris, c’était pour pouvoir non seulement faire connaître la scène européenne et la scène allemande aux Français et surtout pouvoir nourrir ses artistes qui sont en Allemagne et en Europe du patrimoine culturel français. Et ça, c’est quelque chose que l’on retrouve dans beaucoup de galeries, y compris des galeries internationales qui veulent utiliser Paris comme ressource culturelle pour nourrir la réflexion de leurs artistes et pour nourrir aussi la possibilité d’avoir des échanges européens ou mondiaux avec cette ville-là.

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Si Paris demeure une capitale incontournable de l’art, avec de plus en plus de galeries, est-ce dû aussi à la présence des fondations privées, comme celles de LVMH et de François Pinault, et aux grands musées ?

Bien sûr, cela joue un rôle extrêmement important de deux points de vue. D’abord parce que cela a créé de nouvelles synergies. Ce sont de nouveaux lieux et qui dit espace, dit possibilité pour le marché de l’art de s’étendre et de présenter des pièces. C’est très important dans un marché qui connaît un très grand nombre d’œuvres. Dès qu’on a la possibilité d’étendre des espaces, on peut évidemment montrer davantage d’œuvres.

La fondation Vuitton et la Bourse de commerce sont des institutions qui vont aussi pouvoir donner à certains curateurs, à certains commissaires d’exposition, une voix et des moyens. Alors que cela est particulièrement difficile pour les musées, parce que les ressources financières et humaines sont extrêmement limitées, puisque c’est le service public. Ces fondations-là permettent aujourd’hui à des personnes comme Rebecca Lamarche-Vadel, pour la fondation Lafayette, de pouvoir donner une opinion, de pouvoir donner aussi leur goût et donc une esthétique. Et cela permet de continuer à nourrir l’art contemporain et le discours sur des artistes de plus en plus contemporains, c’est-à-dire de plus en plus jeunes et qui ont de plus en plus de choses à dire.

« Les fondations permettent de continuer à nourrir l’art contemporain et le discours sur des artistes de plus en plus jeunes et qui ont de plus en plus de choses à dire »

Cela engendre des expositions assez fortes. La dernière en date à la Bourse de commerce aborde des thèmes qui ne sont pas simples du tout. Il y a des œuvres d’Arthur Jaffa sur ces sujets-là. On parle d’identité, de genre, de sexualité, d’environnement. Ces sujets sont particulièrement importants pour nos sociétés actuelles, pour la ville de Paris en particulier. Ces fondations-là ont pris aussi ce pari de pouvoir parler de ces sujets plus actuels, avec de jeunes artistes. Et on voit bien à quel point cela a joué pour les musées qui sont, disons, plus historiques : le musée du Louvre, le musée d’Orsay. Cela a accompagné leur choix aussi de pouvoir mettre des artistes contemporains en dialogue avec des maîtres anciens ou des artistes modernes. Et on peut donc se féliciter de l’implantation et l’activité de la Bourse de commerce et de la fondation Vuitton, cela a par exemple motivé le Musée d’Orsay à inviter il y a quelques mois la jeune artiste Nathanaëlle Herbelin au sein des collections pour parler de l’art et des Nabis. On peut se féliciter du fait qu’il y ait vraiment aujourd’hui un département qui s’occupe de l’art contemporain au Louvre. Toutes ces dynamiques-là ne font qu’enrichir le débat et le marché de l’art.

Et il y a aussi des événements phares : l’historique Salon d’Automne, Art Basel Paris ou encore en ce mois de mai, la 12e édition de Paris Gallery Weekend qui jouent un rôle important ?

Absolument. Ce sont des dates et des événements qui sont particulièrement importants pour Paris, parce qu’un calendrier dans le marché de l’art, cela permet de rythmer les choses, non seulement de faire vivre le programme des galeries, de présenter des artistes, mais surtout de pouvoir étendre les audiences. Et que ce soit Art Basel qui reste quand même un marqueur qui est très porté sur les collections, les collectionneurs, sur l’achat d’art et le Gallery Weekend qui reste aussi un moment fort pour les galeries, peut-être un peu moins marché, plus grand public. Cela permet de faire venir des personnes qui n’avaient pas forcément l’envie de passer la porte d’une galerie.

Le Paris Gallery Weekend permet à toutes les galeries d’être sur des parcours cohérents et de pouvoir faire découvrir des artistes au fil d’une balade dans certains quartiers, de façon extrêmement belle et de façon extrêmement efficace. Des Gallery Weekend, il y en a partout dans le monde. Il y a le Berlin Gallery Weekend qui est évidemment très célèbre, Londres qui va arriver aussi dans quelques jours. Mais ce qui est très, très spécifique à Paris et dont on peut aussi se féliciter, c’est l’existence de dialogues très forts entre les galeries. C’est quelque chose qui grandit d’année en année. Les galeries se connaissent tellement bien et elles ont tellement un esprit de collaboration que pendant le Gallery Weekend on on a des très beaux dialogues qui se créent entre des expositions, entre des artistes et donc entre des galeries. C’est vraiment unique.

« Ce qui est très, très spécifique à Paris, c’est l’existence de dialogues très forts entre les galeries »

Cela apporte de la visibilité pour un marché qui est assez de niche. Cela apporte beaucoup de visibilité parce que forcément, on permet à des personnes qui n’étaient pas forcément proches du marché de l’art, de pouvoir contempler des œuvres dans un contexte différent d’un contexte muséal. Et ça, c’est très important. Cela permet aussi à des galeries de se rencontrer et c’est ce qui va nourrir le marché de demain.

Quand on est dans une foire comme Art Basel, quand on est dans ces grandes foires, c’est très difficile pour des galeries de pouvoir se rencontrer, de pouvoir échanger, de pouvoir collaborer. Le Paris Gallery Weekend permet aux galeries de pouvoir échanger sur leurs programmes, de pouvoir échanger même certains artistes parfois et de pouvoir penser une dynamique un peu plus globale. Il y a des logiques qui sont des logiques géographiques et spatiales. On a un secteur qui est à Matignon, un secteur autour de la rue Saint-André des arts et du quartier Saint Germain, un secteur qui est celui du Marais. C’est difficile pour des galeries qui sont parfois mises en concurrence, qui sont les unes à côté des autres, de pouvoir avoir un moment calme pour discuter et pouvoir échanger et nourrir le débat et la scène, la scène qu’est Paris.

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Quels sont les avantages et les limites aussi du modèle parisien ?

Le modèle parisien reste un modèle à une échelle finalement assez modeste. Parce que spatialement et en termes de ressources le marché est très concentré, la principale limite est qu’une galerie qui souhaite s’installer à Paris est une galerie qui fait un pari sur du long terme. À New York, cela va beaucoup plus vite. Quand on installe une galerie d’art à New York, on a des ressources financières et des connexions bien établies. C’est beaucoup plus simple d’ouvrir une galerie. À Paris, c’est plus compliqué parce que cela demande à être dans un réseau, à être en connexion avec des personnalités qui sont des décideurs, des personnalités du monde des institutions, des personnalités qui font partie par exemple du Comité des Galeries d’Art. Tous ces liens-là mettent du temps à se tisser en France.

Le gros avantage de pouvoir s’installer à Paris, c’est évidemment Paris elle-même, c’est-à-dire nos ressources culturelles. Paris est la ville qui concentre un nombre de musées par périodes absolument démentiel, qui continue de pouvoir entretenir ce patrimoine. Les travaux du Louvre sont un très bon exemple de ces évolutions. On continue de vouloir nourrir et de pouvoir construire notre patrimoine culturel et notre patrimoine artistique.

Et le fait que la fondation Vuitton, que la Bourse de commerce, que ces grandes institutions, certes privées, puissent donner la voix à de jeunes artistes, est une possibilité pour des galeries plus émergentes de pouvoir montrer leurs propres artistes. Et il est assez rare, en particulier en Europe, d’avoir ce canal assez direct, de pouvoir se dire : « J’installe ma galerie à Paris, j’ai tel et tel artiste d’un point de vue, disons, émergent. Je peux aller parler à ces institutions parce qu’elle parle le même langage que moi, elles sont sur la même scène, elles évoquent les mêmes points de vue sociétaux ». C’est cette discussion-là que recherchent les galeries en s’installant à Paris.